A l’Elysée ça cause Congo
  • jeu, 31/05/2018 - 07:19

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Il y a un peu trop de réunions à Paris sur le Congo et un peu trop de déclarations à l’Elysée sur le Congo. Pourtant, rien n’indique qu’on en a fini puisque le président Macron s’est invité au prochain sommet de l’Union Africaine pour parler RCA et... Congo. Que veut le président français qui, à sa prise de fonctions, paraissait vouloir respecter la souveraineté des Etats, souhaitant que chacun y aille à son rythme? Pourquoi ce silence ailleurs sur le Continent et célèbre-t-on des retrouvailles, offrant en l’espèce des prix à payer? Entre les Etats, il n’y a pas place aux sentiments, seuls les intérêts comptent. C’est De Gaulle qui le dit: «Les Etats n’ont pas d’amis (éternels). Ils n’ont que des intérêts (éternels)». Lors d’un discours sur «Politique étrangère et intérêt national», l’ancien ministre de l’Intérieur ex-socialiste Jean-Pierre Chevènement pouvait déclarer: «Peu de décisions aujourd’hui se prennent encore explicitement à l’aune de l’intérêt national (quel est sur tel ou tel dossier l’intérêt du pays?). Que veut Macron qui, au minimum, a levé l’option de monter la pression sur le pouvoir congolais? On voulait les élections, la Commission électorale nationale indépendante paraît avoir mis les bouchées doubles et, dans moins de trois semaines, c’est le dépôt des candidatures avec convocation du corps électoral... Quel reproche le nouveau pouvoir français fait-il à Kinshasa? Dès le lendemain de sa prise du pouvoir, des émissaires furent dépêchés à Kinshasa. Ceux-ci furent accueillis à Lubumbashi par le président de la République. Kinshasa n’aurait opposé aucun refus à la demande pressante d’Areva faite déjà par l’ex-président Nicolas Sarkozy d’exploiter l’uranium de Chinkolobwe, au Katanga. Un an après, la firme française reste absente sur le site. Il y a d’autres dossiers... Cherche-t-on à négocier des conditions «plus intéressantes» avec un régime «ami» libéral dont Paris encouragerait l’avènement?

Cela ne fait désormais l’ombre d’aucun doute. Le président français Emmanuel Macron a fait le choix de monter la pression sur les dirigeants congolais. Pour cela, il a levé l’option de s’appuyer sur l’Union Africaine via le président actuel en exercice Paul Kagame. Aurait-il oublié les relations tendues entre Kinshasa et Kigali, les dirigeants rwandais ayant été accusés - en premier par un diplomate français aux Nations Unies à New York Jean-David Levitte - d’avoir exterminé 5 millions de Congolais? Le président fait fort, expliquant qu’il n’a pas connu cette horreur et qu’il a hâte à tourner la page... Pourtant, pour Kinshasa, passer par Kigali pour aborder les problèmes congolais, n’est rien moins que de la provocation... Le Chef de l’Etat français n’en aurait pourtant cure...
Recevant le président rwandais jeudi 24 mai 2018 en grande pompe au Palais de l’Elysée et qui s’adresse à lui en anglais et que le président Macron comprend, le président français a ces mots: «Sur la situation en République Démocratique du Congo, la position de l’Union Africaine et des pays de la région est pour moi essentielle. J’en suis très attaché. Je peux dire ici que nous partageons constamment analyses et positions et la France soutient l’initiative prise par le président de l’Union Africaine en lien étroit avec le président angolais». Le lendemain 25 mai, les deux hommes se retrouvent au stand du Rwanda à l’événement «Viva Tech» que raffole Kagame. La veille ce fut des selfies à «Tech for Good» avec tous les grands du numérique...
Quatre jours plus tard, lundi 28 mai, c’est le président angolais João Lourenço - considéré comme un poids lourd militaire dans la sous-région - qui débarque à l’Elysée. Dans le même cadre, devant les mêmes caméras, le président Macron paraît plus à l’aise car plus bavard, comme son hôte angolais lusophone par ailleurs qui s’adresse à lui en portugais.

CONTENU FORT.
Situation en RDC, «nous soutenons la médiation régionale», affirme Emmanuel Macron. Les deux présidents rappellent leur attachement à l’accord de la Saint-Sylvestre, à la tenue des élections le 23 décembre 2018 «auxquelles Joseph Kabila n’aurait pas à participer», précise Macron même s’il explique que Paris «n’a pas à dicter» au président congolais ce qu’il doit faire.
João Lourenço affirme en portugais, selon la traduction qu’on estime fidèle, que la médiation sur la RDC est menée par différents présidents de la sous-région qu’il égrène, au sein des organisations régionales, chacun avec ses titres et droits, «Omar Bongo, Denis SassouNguesso, Cyril Ramaphosa et Paul Kagame» avec qui «nous discutons régulièrement de l’avenir de la RDC, tout comme avec M. Kabila».
Si le langage est prudent, le contenu est fort. Il insiste sur le respect de «l’accord (de la Saint-Sylvestre)» qui «a reçu la bénédiction de l’Église, et tout ce qui est béni doit être respecté». Puis, toujours selon l’interprète, «nous conseillons à Joseph Kabila de suivre ce chemin. Mais un conseil n’est pas une obligation».
D’ajouter: «Nous n’avons pas le droit de dire (à Joseph Kabila) qu’il doit (le) quitter, c’est aux Congolais de le dire à travers les urnes. Mais on se croit dans notre droit à se protéger de toute déstabilisation». Ces élections à venir doivent se passer dans un climat apaisé, explique selon le lusophone.
«Si c’est pour organiser des élections pour en faire, on peut les faire dès demain même, mais si personne ne les reconnaît, on ne gagne rien avec ça», donne à entendre l’interprète.
Répondant à la dernière réaction de Kinshasa faite par le porte-parole du gouvernement Lambert Mende Omalanga, suite aux déclarations du président français lors de la visite du président Kagame, João Lourenço explique qu’il n’y a pas de décisions prises «en secret», ni de «conspiration», mais un «grand besoin de montrer à Joseph Kabila qu’il doit respecter l’accord… Nous nous rencontrons dans quelques jours, j’espère que ça se réalisera».
Quand le président Macron reprend la parole, il assure sans ambiguïté: «La France viendra en soutien des initiatives qui seront prises par les pays de la région et l’Union africaine». Des initiatives visant à «faire appliquer les accords qui seuls permettront la clarification de la situation politique (en RDC), sans aucune complaisance, dans le calme et avec clarté». «Nous soutenons l’esprit et la méthode de M. Lourenço», conclut-il.
Si le président angolais rencontre 80 entrepreneurs français et passe des contrats avec des firmes françaises, se rend dans le midi de la France avant un tour en Belgique, Paul Kagame n’a rien à offrir à l’Hexagone mais la France a un moral en berne face à Kigali et cherche à se faire pardonner. Ceux qui ont dirigé la France quand se produit le génocide des Tutsis rwandais à partir du 7 avril 1994 sont encore en vie: le gaulliste Alain Juppé, un mentor de Macron, a été premier ministre de Jacques Chirac puis ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement Edouard Balladur, le socialiste Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères de Lionel Jospin et secrétaire général de l’Elysée quand François Mitterrand lance l’opération Turquoise. Selon le journaliste Patrick de Saint-Exupéry qui l’écrit dans la revue trimestrielle XXI, un document français déclassifié fait découvrir une mention manuscrite insistant sur la nécessité de «s’en tenir aux directives fixées» et de «réarmer» les génocidaires hutus rwandais en déroute. L’auteur de la note? Hubert Védrine...
Mais le ballet se poursuit sans désemparer puisque peu après c’est le Brazza-Congolais Denis Sassous-Nguesso qui déboule à Paris. Sous la bannière du conflit lybien dans lequel la France est mêlée avec la chute de Mouammar Kadhafi suivie de l’assassinat du leader libyen, il ne parle pas moins du Congo. Lui, Sassou, qui avait reçu l’incroyable et inattendue bénédiction du prédécesseur d’Emmanuel Macron à l’Elysée, François Hollande. C’était le 21 octobre 2015, au Palais de l’Elysée. «Denis SassouNguesso peut consulter son peuple, ça fait partie de son droit et le peuple doit répondre. Ensuite, il faut toujours veiller à rassembler, respecter et apaiser». C’était lors d’une conférence de presse commune avec le président malien Ibrahim Boubacar Keita. La position françse fut claire, nette, ferme, faite peu avant une rencontre dans la journée au Quai d’Orsay entre le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius et son homologue brazza-congolais Jean-Claude Gakosso. Des opposants brazza-congolais ont dénoncé cet intervention de l’Elysée dans le débat brazza-congolais («une insulte aux Congolais et à tous les démocrates africains», estimait l’association Survie pour qui «la France doit immédiatement annoncer la suspension de sa coopération militaire et policière avec le régime et contribuer à isoler d’urgence les dirigeants congolais»), peu importe! L’oracle avait retenti, avait été entendu dans le pays et dans toute sa diaspora. Tout était rentré dans l’ordre. A Brazzaville, le pouvoir s’en était léché les babines.

QUE VEUT MACRON?
Que reproche le nouveau pouvoir pragmatique français fait-il à Kinshasa? Dès le lendemain de sa prise du pouvoir, le président français a envoyé des émissaires auprès de son homologue congolais. Ceux-ci furent reçus à Lubumbashi par le président de la République Joseph Kabila Kabange. Le rapport de voyage aurait été positif. Kinshasa n’aurait opposé aucun refus au fait qu’Areva déjà soutenue par l’ex-président Nicolas Sarkozy, exploite la mine d’uranium de Chinkolobwe, au Katanga mais, un an après, la firme française reste absente sur le site. Cherche-t-elle à négocier des conditions impossibles avec un régime libéral «plus ami» dont Paris encouragerait l’avènement? On sait comment des opposants congolais sont reçus dans certains salons à Paris... Samedi 12 mai, devant ses camarades de la Majorité Présidentielle, Kabila a tout dit, parlant de la «menace réelle» qui pèse sur le pays. «Ils font tout pour noircir le pays. Ils trouvent que rien ne marche afin de donner des arguments à nos voisins voire aux enfants du pays».
«Vous pouvez chanter matin et soir «Élections! Élections!», que nul n’oublie cette menace sur le pays». «Il arrive qu’on entende: «ils vous menacent mais donnez leur ce qu’ils veulent»! Le problème est de savoir ce qu’ils veulent! «Il faut partager, partager» mais partager quoi? Nos richesses, semble-t-il! On l’a entendu de la bouche de l’ancien président français, Nicolas Sarkozy à son passage à Kin, en mars 2009. Le problème est qu’ils ne veulent pas partager nos richesses. Ils veulent prendre le Congo et nous laisser des miettes!» .
D. DADEI.


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