A Kinshasa, une fête du livre sans lecteur
  • ven, 20/03/2020 - 03:11

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1484|VENDREDI 20 MARS 2020.

Hier, ils savaient lire. Aujourd’hui, les Congolais ne lisent plus. Même les multiples journaux étalés par terre dans la rue ou vendus à la criée trop souvent mal écrits, mal conçus, terminent la course dans la poubelle ou servent de feuilles d’emballage au marché. Est-ce tendance suite avec l’arrivée de l’Internet, des médias en ligne ou d’infos en continu? Le même phénomène fait pourtant rage dans les pays anglophones, Kenya, Ouganda, Tanzanie, etc., où, dans chaque échoppe, on trouve deux ou trois journaux en train d’être dévorés par ceux qui les ont achetés. A ce train, comment et, par quel miracle, parler d’une «fête du livre» à Kinshasa qui, plus est, en est à sa 7ème édition? Sauf à tenter d’éveiller ou de promouvoir un réflexe qui, depuis longtemps, a disparu...
Inaugurée le 14 février 2020 par deux écrivains - un Congolais, In Koli Jean Bofane, auteur du roman inventif «les mathématiques congolaises», et un Camerounais, Max Lobé - la VIIème édition de la fête du livre de Kinshasa a réegroupé plus de 30 auteurs africains et européens venus des deux Congo, du Cameroun, de l’Afrique du Sud, du Kenya, de la Cote d’ivoire, des Comores, de l’Allemagne, de la Belgique, de la Suisse, de la France. Organisée par le Pôle Eunic/RDC, un réseau européen que préside Kathryn Brahy, la déléguée générale Wallonie-Bruxelles à Kinshasa, la fête du livre est une solennité annuelle importante qui joint lecteurs, éditeurs et
libraires autour d’une même passion, à savoir, le livre.

SUCCESSION D’OUVRAGES.
C’est sur une terrasse à ciel ouvert, à l’Espace Kembo de l’Institut français de Kinshasa, commune de la Gombe que se dresse la librairie éphémère, un petit marché du livre où on trouve pêle-mêle tout. Médias Paul, Book Express, etc., aucun libraire connu ne manque. Dans des sortes d’étalages, c’est une succession d’ouvrages, une magie des mots, une série de fonds, de couvertures, de formats, un mélange de culture : jaune, bleue, vert, sombre, claire, paysagés, titrés, imagés, cartonnés, en papier couché, A 3 A 4, etc. Philosophie, littérature, science, mathématiques, jeunesse, tradition, culture, etc., ça ne chahute que livre dans les couloirs des stands d’exposition.
Fidèle à cette coutume et amoureuse du livre, Ruth Tehonton, professeure des mathématiques, ne cache pas son affection pour le
livre. «J’adore le livre. C’est une passion, c’est de l’imagination, c’est un
voyage sans le savoir vers d’autres mœurs, vers d’autres pays. C’est un apprentissage, une substitution», explique-t-elle toute excitée. Figée devant le stand des Editions belges Alice, elle décroche 5 bouquins et un 6ème lui est offert en cadeau. Mais ces livres ne sont pas pour elle. C’est pour des amis congolais. «J’aimerais que ça cesse! Cette expression selon laquelle le Congolais n’aime pas lire. C’est ça mon combat. Je ne suis pas très riche ni très puissante mais dans des occasions comme celle-ci, j’achète des livres
que je vais ensuite offrir à mes camarades», explique la Prof. «Je suis une sorte de bibliothèque ambulante car je voudrais partager cet amour de la lecture avec mon entourage».
Exposant, Onya Soleil, représentant de la librairie Joseph Vrin, spécialisée en philosophie et les Editions Alice qui éditent tout ce qui est jeunesse, livre une triste expérience. «C’est la septième édition. C’est ma septième participation à cette semaine festive
importante qui permet aux lecteurs d’entrer en contact avec les éditeurs
et les libraires. Qui permet aux Congolais de se procurer des manuels afin d’acquérir des plus amples connaissances pour leur épanouissement intellectuel».
Le résultat est relatif. «D’un côté, il y a le faible pouvoir d’achat d’une bonne part de Congolais, ne leur permettant pas de se procurer un livre. De l’autre, il y a l’héritage de la tradition orale - le bouche à l’oreille - qui fait énormément du mal, l’oralité nous fait du mal et nous ne lisons pas».

JUSTE POUR L’AMBIANCE.
Des raisons qui justifieraient la quasi-absence des Congolais.
«Il y a très peu de Congolais qui passent ici se procurer des livres. Nos acheteurs sont des expatriés et quelques Congolais venus d’autres cieux», explique Soleil Onya.
Chagriné de voir ses économies s’affaiblir édition après édition, le migrant belge accepte chaque année des pertes pour le bonheur de la lecture. «Sept années de perte, je ne fais que perdre de l’argent à chaque édition», se plaint-il. D’ajouter : «Je viens de loin et ce voyage m’a coûté, les frais de fret des livres, les frais de séjour, pour ne citer que cela. Ce sont des dépenses que j’effectue. Et elles ne correspondent nullement à l’argent que je gagne ici par la vente des livres, le pourcentage de rentabilité est d’une nullité autre. Nous ne sommes là que pour l’ambiance de la fête et pour aider le Congolais à avoir une diversité culturelle. Au-delà des maux, cette septième édition est plus au moins complète en comparaison aux précédentes. Elle a une diversité culturelle assez large. Quand nous avions débuté la 1ère édition, il y avait très peu de libraires, mais aujourd’hui, il y a en a un peu partout.
Ce qui signifie que le Congolais s’inspire et s’habitue aux les livres». Bon signe, s’encourage-t-il. Poète slammeur, co-auteur et étudiant en fiscalité à l’Institut supérieur de commerce, Cédric Sed Tembo réclame une reconnaissance folle au livre. «Je suis reconnaissant envers les livres. Cela est d’un grand apport dans ma vie d’étudiant. Le livre m’a transformé. Jadis, j’ai trouvé la lecture comme une corvée. Aujourd’hui, elle m’instruit et me permet de prendre des décisions justes, d’avoir mon propre jugement et de me surpasser».
Hormis la librairie éphémère, de nombreuses rencontres littéraires sont organisées pour cette même occasion.
«À vous la parole», un traditionnel cercle d’écrivains initié par des amateurs de littérature de Kinshasa et l’ensemble des auteurs, un débat passionnant. Il y a aussi la grande conférence dynamique et intéressante organisée pendant semaine dédiée au livre. Le fameux festival a pris fin, samedi 22 février 2020 avec la remise du Prix Makomi, un prix européen de littérature qui promeut les nouveaux talents congolais. Pour cette édition, le prix a été décerné à Éric Ntumba qui a touché une enveloppe de 2000 US$ outre des frais de 3000 US$ pour la réédition de son ouvrage.
DEBORAH MANGILI.


Related Posts

About author

Portrait de Déborah Mangili Atumba