Que dit la loi?
  • mer, 25/06/2014 - 01:38

Le texte le plus lu en version complète. Vous l’apprécierez encore plus…
Au Congo, deux journaux majeurs - AfricaNews et Forum des As - ont repris pour leurs lecteurs en date des 18 et 19 juin l’analyse de Tryphon Kin-kiey Mulumba parue dans l’édition du Soft International datée du 17 juin (éd. 1284). Ce texte connaît un succès de lecture à l’étranger et fait l’objet de reprises sur les réseaux sociaux. A la demande unanime de ses lecteurs qui souhaitent le lire (sans modération, à en croire l’un d’eux), Le Soft International le reprend ici dans une version complète.

Alors que dans nombre de nos microcosmes politiques, on vit - ne nous racontons pas de blagues - une sorte d’hystérie collective montée singulièrement de plusieurs crans à la veille du week-end dernier avec l’annonce de deux rendez-vous - un conseil des ministres extraordinaire et un congrès de deux Chambres parlementaires - relisons la loi fondamentale du pays pour aider à ramener la sérénité et donc la lucidité dans les esprits.
S’agissant particulièrement du Premier ministre - et, du coup, du Gouvernement de la République - que disent les textes? Faisons une plongée dans la loi fondamentale.
S’il est nommé au terme d’une ordonnance signée par le Président de la République «au sein de la majorité parlementaire après consultation de celle-ci» (art. 78), le Premier ministre ne saurait être révoqué - sans enfreindre la loi fondamentale du Congo - par un acte unilatéral du Président de la République. En l’espèce, la théorie de l’acte contraire ne joue pas. Cela pourrait paraître paradoxal, telle est la volonté du législateur congolais qu’il faudra un jour revisiter pour la rendre plus cohérente.
Aux termes des dispositions de la Constitution actuelle du pays, le poste de Premier ministre n’est en effet vacant que dans deux cas:
- d’une part, à la suite d’une démission présentée et acceptée par le Président de la République (art. 78) qui «met fin à ses fonctions» (art. cit.),
- de l’autre, lors de l’adoption par l’Assemblée nationale d’une motion de censure contre le Premier ministre, du coup, contre son Gouvernement (art. 146 et 147). «Dans ce cas, le Premier ministre remet la démission du Gouvernement au Président de la République dans les vingt-quatre heures» (art. 147).
Or, notre pays aujourd’hui n’est dans aucun de ces cas de figure prévus par la Constitution.
En clair,
- il n’y a pas eu de dépôt - et donc de vote à l’Assemblée nationale d’une motion de censure contre le Premier Ministre, donc contre le Gouvernement de la République dont il est le chef; et l’on sait que la Chambre basse du Parlement est en vacance depuis dimanche 15 juin sans promesse ferme de retour anticipé avant la rentrée ordinaire de septembre;
- il n’y a pas eu - à ce jour - de démission du Premier ministre, chef du Gouvernement, donc acceptation de cet acte par le Président de la République, Chef de l’Etat.
Sauf crise - ce qui n’est pas le cas aujourd’hui dans notre pays d’autant que les Institutions de la République fonctionnent tout à fait normalement - il est exclu que le Président de la République apprenne sur les ondes - comme tout commun des mortels - la démission de son Premier ministre. Celle-ci ne saurait faire l’objet d’une annonce publique - et donc, n’existe pas en soi aujourd’hui - aussi longtemps qu’elle n’a pas été préalablement présentée par le Premier ministre lui-même lors d’un colloque singulier au Président de la République, qui l’a acceptée.
Très clairement - et il faut le dire haut et fort - dans notre pays, il n’y a stricto sensu présentement - sauf impossible - aucune procédure dans ce sens. Puisque le Premier ministre n’a pas fait part de sa démission, que celle-ci n’existe pas, que, du coup, il n’y a pas de vacance au poste de Premier ministre, nul ne saurait envisager - sauf à enfreindre la loi - l’hypothèse de désignation par le Président de la République d’un nouveau Premier ministre.
Le Président de la République peut avoir réclamé la démission de son Premier ministre? Rien n’indique qu’il l’ait fait.
Si des compagnons rapportent que pour se parer des ingrats, De Gaulle s’était composé d’hommes dont il disposait entièrement et qu’il pouvait renvoyer à son gré - se faisant remettre une démission au moment de la prise de fonctions et qu’il datait lui-même, l’heure de la séparation ayant sonné - rien n’indique que Joseph Kabila Kabange ait eu recours à cette pratique d’essence despotique d’un autre âge et des PFP (les Pères Fondateurs Providentiels) qui se croient être l’incarnation de l’histoire sinon le tumulte que ce pays a connu dans un passé récent n’aurait jamais eu lieu.

L’ANNONCE
POLITIQUE MAJEURE.

En clair, le Premier ministre est en place, le Gouvernement de la République dont il est le chef mêmement et de plein exercice. Le Gouvernement agit et pose tout acte régalien. Tout à fait normalement...
Dès le jour de sa prise de fonction le 20 décembre 2011 au lendemain de sa réélection, le 28 octobre 2011, dans son discours d’investiture sur l’esplanade de la Cité de l’Union Africaine, le Président de la République a fait une annonce politique majeure déclarant qu’il ferait appel à tout Congolais qui nourrit «la passion du Congo».
Il a nommé dans l’équipe gouvernementale formée des parlementaires issus des rangs des partis d’opposition, un ministre de l’Economie et du Commerce extérieur, un autre s’est vu octroyer le portefeuille de l’Industrie et des Petites et Moyennes Entreprises. Il ne s’agit pas de portefeuilles ministériels pour inaugurer des chrysanthèmes. Il s’agit de postes clé de conception et de direction économique du pays. Celui en charge de l’Economie par exemple prend part à la réunion de la troïka stratégique qui se tient chaque lundi à l’Hôtel du Conseil autour du Premier Ministre, en présence du gouverneur de la Banque Centrale - une sorte de Kern en Belgique - le Conseil des ministres restreint qui réunit autour du Premier ministre tous les vice-Premiers ministres pouvant être étendu à d’autres ministres ou secrétaires d’État en fonction des affaires à traiter - pour lever les options fondamentales de gestion économico-financière du Congo. Il arrive à ce ministre d’en donner au pays et au monde le procès-verbal!
Le Chef de l’Etat a désigné un ténor de l’opposition comme Secrétaire Exécutif du Mécanisme régional de suivi des accords de paix d’Addis-Abeba mis en place avec la Communauté internationale en vue de mettre définitivement fin à la guerre du M23 et de pacifier le pays. Un poste hautement stratégique. Esprit d’ouverture autant qu’acte de foi envers la cohésion nationale.
Dans cette quête de ceux de ses compatriotes ouverts au dialogue, le Chef de l’Etat a convoqué des Concertations nationales qui ont réuni en septembre-octobre 2013 un mois durant des membres de la majorité, une fraction significative de l’opposition et des représentants des organisations de la société civile à l’issue desquelles, il a annoncé la formation d’un gouvernement de cohésion nationale.
Cette annonce politique qu’incarne et renforce sa vision conduit-elle le Président de la République à enfreindre les prescrits de la Constitution qui règlementent la vacance à la Primature tout comme ils organisent la nomination au poste de Premier ministre? Répondre par l’affirmative serait faire montre de déni de droit... Mais comment matérialiser cette volonté présidentielle publiquement exprimée en la conformant avec la loi du pays? En clair, comment mettre en cohérence la politique et la loi? C’est cette équation que le dernier carré du sérail doit résoudre et qui explique la longue attente...
Tel que compris, un gouvernement de cohésion nationale suppose un changement de cap dans les options mises en œuvre par le Gouvernement ou, à tout le moins, un recadrage de celles-ci. En l’espèce, ces options sont celles résultant des recommandations des Concertations nationales ayant regroupé aussi bien la majorité présidentielle que la fraction significative de l’opposition et des membres de la société civile. L’opposition qui accepterait l’appel de la cohésion nationale rejoindrait la majorité parlementaire et perdrait du coup la qualité d’opposition. L’opposition qui souhaite rejoindre la majorité en vue de gouverner ensemble a-t-elle cette même compréhension de la loi et de son bon fonctionnement?
En clair, est-elle prête à jouer pleinement le jeu de la cohésion nationale qui implique courage et responsabilité? Responsabilité politique et historique s’entend! Répondre par l’affirmative serait aller vite en besogne... Or précisément, c’est à ce niveau que se situe le couac qui trouble le projet de cohésion nationale et retarde sa mise en œuvre.

METTRE LES MAINS DANS LE CAMBOUIS.
Depuis l’annonce présidentielle, la démarche de l’opposition déroute - le moins que l’on puisse dire. Il n’y a pas que ses demandes abracadabrantes de quotas qui déjouent le jeu. Le pays retourné à l’âge du «partage équitable et équilibré» du régime honni du 1+4! De même l’incroyable flambée de demandes de postes.
A entendre des sources, il y aurait jusqu’à deux cents candidats enregistrés pour des portefeuilles ministériels. On se bouscule au portillon. Le jeu est aux crocs-en-jambe.
Le plus malheureux et le plus diabolisé de saison - à chacun sa part de diabolisation - est l’autorité morale de cette fraction de l’opposition «républicaine», le président du Sénat, Léon Kengo wa Dondo littéralement désacralisé. C’est à en pleurer à grosses gouttes pour sûr.
Au fond, qui a gagné quelle élection pour réclamer quoi?
A supposer que le Chef de l’Etat accède à certaines demandes, c’est pour répondre à quel service rendu ou, mieux, pour qu’il reçoive quoi en retour? Bref, quel est en définitive l’intérêt de l’opération?
Au fond, si sur le calendrier électoral sur lequel majorité et opposition OR - opposition républicaine kengiste - se sont mises d’accord aux Concertations nationales en signant des PV et que la CENI a traduit dans un programme rendu public, l’opposition OR ne peut mettre les mains dans le cambouis, qu’en sera-t-il quand sonneront les vraies batailles? A-t-elle compris qu’en politique s’il y a salut, il est collectif et qu’a contrario si demain, le pays s’arrête, la noyade sera collective - guère individuelle - et elle devra assumer aussi bien que la majorité? Le discours des années Léopard qui refait surface avec des «opposants» qui suggéraient à l’oreille de Mobutu qu’il leur laisse le devant de la scène et s’efface, jurant que le moment venu, ils joueraient sa carte pleine et entière, est un leurre. Un poker menteur.
S’il s’agit d’enlever ceux qui siègent au sein de l’Exécutif pour qu’on en mette d’autres, il faut bien pouvoir justifier comptant.
En politique, jamais les raisons n’ont été toujours les mêmes pour tout le monde. Si le verbe haut ou la brillance intellectuelle peut être signe de compétence, il ne saurait être le sésame-ouvre-toi. En politique objectivement - ne nous racontons pas de blagues - il n’y a que deux mots qui comptent: apport et intérêt… Qui impliquent fidélité et loyauté, les deux mots qui génèrent la confiance susceptible, si elle est éprouvée, de mettre des personnes ensemble.
Il n’en existe pas d’autres. Au fond, qui ne sait qui a apporté quoi, à qui et comment? Qui ne sait quelle circonscription électorale (quelle province) a fait quoi, pour qui et comment? Qui ne sait quel acteur politique a fait quoi, pour qui et comment? Qui ne sait quel type de vote a lieu dans nos pays - et dans la plupart de pays du monde - caractérisé par la primauté du sociologique?
L’heure de la bataille décisive ayant sonné, qui ne sait qui représente quelle force dans ce pays? Pourquoi des acteurs politiques s’imaginent que rien de ce qu’ils sont n’est connu de personne et rien de ce qu’ils font n’est connu sinon à l’instant, du moins le lendemain et que ce pays est un pays ignorant quand jour après jour, il réalise des prodiges, que d’effrayants rétropédalages ou des yo-yo politiques peuvent être sans fin qu’ils ne seraient que des péchés véniels? Pourquoi d’aucuns dans ce pays ont-ils coutume à jouer à se faire peur à eux-mêmes?
«La différence entre l’homme politique et l’homme d’Etat est la suivante: le premier pense à la prochaine élection, le second à la prochaine génération», pose l’écrivain anglais James Freeman Clarke, 1810-1880. Si l’homme politique est celui qui pense à sa réélection dès le lendemain de son élection, que l’homme d’Etat pense au contraire aux générations futures en réalisant des actions qui passent les âges - quel qu’en soit le prix pour ses contemporains -, il faut savoir quelle recette fait un homme d’Etat qui n’a pas été un homme politique. Sans avoir reçu un mandat électif.
A l’ère de la société de l’information - la communication nous inonde en devenant instantanée et interactive, en désertant nos chaînes télé et radio pour se déverser sur la toile - Twetter, Facebook et consorts - que n’a pas connue l’écrivain anglais, peut-on poser un acte qui ne soit profondément d’adéquation? L’œuvre n’a-t-elle pas de sens que dans la durée? Si jamais il n’existe aucune compréhension partagée de cette cohésion - aucune «âme commune» -, faut-il malgré tout y aller et risquer de faire chambouler l’édifice kabiliste savamment mis en œuvre qu’il faut rasséréner et sauvegarder en vue de rudes batailles à venir?
T. KIN-KIEY MULUMBA.
Professeur d’Université.


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