Nangaa, une interview bombe
  • ven, 02/06/2017 - 05:53

La Commission Electorale Nationale Indépendante ne reconnaît pas avoir perçu les 20 millions de US dollars dont fait état l’Union Européenne.

Il n’est pas homme à avoir sa langue dans sa poche. Le moins que l’on puisse dire! Devant ses compatriotes comme devant des représentants de la Communauté internationale qu’il rencontre journellement, Corneille Nangaa Yobeluo sur qui d’aucuns veulent faire peser tous les maux du Congo, est infiniment l’homme du parler vrai. Lors du Dialogue de la Cité de l’UA, il décide de remettre au lendemain son intervention très attendue par les 300 délégués. Au centre de plus d’une controverse, accusé par les opposants d’être de connivence avec la Majorité Présidentielle dont il serait membre quand sa candidature émane de la composante Confessions religieuses, soupçonné par des strates de la communauté de diplomates de manipulation du «glissement» en gonflant notamment délibérément le budget électoral sinon de renvoi pur et simple des scrutins aux calendes grecques, le président de la Commission Electorale Nationale Indépendante du Congo affable mais remonté, a juré d’affronter ces critiques en direct à la télé. Or, le jour de sa présentation - celle de son calendrier électoral, vendredi 30 septembre 2016, le co-modérateur serait Alexis Thambwe Mwamba, ministre de la Justice et Garde des Sceaux. Guère enthousiasmant; guère sexy, s’édicte ce vertueux mais homme de bagarre, qui vous fixe des yeux sans les détourner quand il vous parle, signe qu’il est droit dans ses bottes.
Nangaa, jouant à fond la crédibilité, ce perfectionniste musclé qui lit et relit ses textes autant de fois que nécessaire, jusqu’aux petites heures et ne les libère que lorsqu’il en a acquis l’intime conviction, choisit que son exposé soit introduit comme le débat qu’il s’est convaincu houleux qui s’en suivrait, conduit par le plus éminent des opposants présents, candidat déclaré à la Présidentielle, arrivé troisième à la dernière Présidentielle, le président de l’UNC Vital Kamerhe Lwa-Kanyiginyi, ancien président culte de l’Assemblée nationale, certainement l’un des plus grands debaters du pays, qui dirige par ailleurs la délégation de l’opposition au Dialogue.
Alors, Nangaa passe à l’acte. Le président de la Commission Electorale Nationale Indépendante saisit son smartphone, lance un appel à Kinshasa, informe le facilitateur togolais unionafricain Edouard Edem Kodjo, feint d’un agenda chargé qui le retient sur Paris un jour supplémentaire. Il prendra le vol du lendemain. Quand devant les 300 dialogueurs rassemblés sous l’énorme chapiteau de la Cité de l’UA, Corneille Nangaa Yobeluo prend la parole ce samedi 1er octobre 2016 peu avant midi, il manque une larme à l’œil. Les phrases qu’il a alignées d’entrée de jeu sont choisies, cadencées et comme mécaniques. Au total, pleines de gravité!
«C’est avec un sentiment d’humilité que je prends la parole devant vous» (Le Soft International n° 1374 dété vendredi 7 octobre 2016).
Il parle de tragédie... congolaise.
«Je suis pleinement pénétré de la gravité de ces instants qui, sous d’autres cieux, sont des moments ordinaires d’une vie démocratique mais prennent d’autres reliefs chez nous à cause de la tragédie qui entoure les efforts de normalisation démocratique».
Puis: «Nous sommes une grande Nation; une grande famille; nous pouvons et nous devons construire notre agir collectif dans la paix et la concorde et parvenir à faire des cycles électoraux des grandes célébrations citoyennes et non des moments de rupture dans le tissu social».
Puis: «Je prends la parole en mesurant l’importance de cette communication au regard des attentes de notre peuple qui sont celles d’un peuple jouissant de tous ses droits politiques et qui tient à les exercer» (Le Soft International n° 1374 dété vendredi 7 octobre 2016).
Puis, heureux comme satisfait, soulagé: «Je prends la parole avec un sentiment de soulagement car je peux légitimement me dire que deux faits concourent à cet état d’âme: le travail actuel a bénéficié de la meilleure expertise interne et externe; il s’est construit autour des intelligences consacrées dans le domaine» (Le Soft International n° 1374 daté vendredi 7 octobre 2016).

NANGAA LES A CONQUIS TOUS.
Ce samedi 1er octobre 2016 quand l’énorme chapiteau libère son auditoire, Nangaa a séduit et conquis tous. Même de suspicieux membres de la Majorité Présidentielle qui, en interne, opinaient du bonnet à la manipulation...
Face à des réalités techniques imparables, tout le monde a déposé les armes.
«Avec la technique, on ne triche pas», avoue vaincu sinon séduit le co-modérateur opposant Kamerhe Lwa-Kanyiginyi. Un autre opposant Jean-Lucien Bussa Tongba au verbe haut - depuis entré au gouvernement (ministre du Plan sous Badibanga, puis au Commerce Extérieur dans Tshibala) avait beau affiné son attaque - en préparant certainement la meilleure dissertation attendue de ses pairs -, c’est le secrétaire général du PPRD Henri Mova Sakany qui trouve le mot juste.
«Corneille Nangaa a administré une magistrale leçon électorale aux politiciens congolais», lance-t-il.
L’un de ses adjoints Emmanuel Ramazani Shadari, depuis passé au Gouvernement comme Vice-Premier ministre à l’Intérieur et Sécurité, surenchérit: «La matière électorale est éminemment technique à ce point qu’il ne faut pas chercher à la politiser».
Ce président de la CENI a conclu - et avec quelle vaillance! - que le pays a encore besoin d’un délai d’au moins 504 jours consolidés incompressibles pour tenir ses élections (en réalité entre 784 et 646 jours) - présidentielle, législatives, provinciales, municipales et locales le même jour, suivies des indirects y afférents - c’est-à-dire celles de gouverneurs de provinces et du Sénat - si les contraintes techniques et financières le permettent - s’il ne veut pas laisser loin du processus au moins 10 millions d’électeurs, les fameux «nouveaux majeurs».
L’ancien secrétaire général de l’OUA, Edem Kodjo opine de la tête. Puis: «Mais, une date n’est qu’une date, rien d’autre. Elle sera tenue si nous construisons avec panache notre chemin critique pour y arriver».
Nangaa qui a juré d’organiser les meilleures élections que le pays ait jamais organisées, et, en passant, a dit chercher «un nom pour qualifier celles de 2011», a mis en garde les acteurs politiques: «Je tiens encore à préciser que les efforts de rationalisation qui ont été menés pour construire une réalité calendaire exigent une perception dynamique du processus en évitant le fétichisme des dates qui, parfois, augmente non seulement la pression sur les acteurs, mais fait dévier les actes attendus de la trajectoire voulue».
Le président de la CENI a présenté trois options, en laissant à la classe politique le soin d’en lever l’option finale. Il est prêt à travailler selon toute hypothèse:
1. Elections législatives provinciales et locales en premier, suivies des scrutins indirects y afférents, présidentiel et législatif national en second;
2. Elections Présidentielle et législatives nationales en premier, législatives provinciales et locales en second, suivies des scrutins indirects y afférent:
3. Tous les scrutins directs (Présidentiel, Législatif, Provincial, Municipal et Local) le même jour, suivis des scrutins indirects y afférents.
Depuis, il y a eu l’autre Dialogue - des évêques catholiques - qui, avec une trentaine de participants, soit dit en passant, occulté celui des trois-cents participants, tout au moins médiatiquement.
Alors que la CENI a lancé dimanche 28 mai le dernier marathon de la campagne d’enrôlement dans les 13 dernières provinces en tête la Ville province de Kinshasa, le Soft International a sollicité et obtenu que l’homme qui n’ouvre pas sa bouche sans faire bouger ou trembler les lignes, se prête au jeu de questions réponses. Ci-après.

Vous revenez d’un énième voyage à l’étranger. Monsieur le Président, peut-on en savoir l’objet?
J’ai répondu à une invitation qui m’a été adressée pour une mission d’observation électorale en Suisse où se sont déroulées le dimanche 21 mai 2017, les élections du Conseil d’État et la votation fédérale de la nouvelle loi sur l’énergie. Chacun de mes voyages a un objet spécifique. J’ai été à Laval pour m’assurer de la bonne préparation des kits qui devraient servir, dans les délais impartis, aux opérations en cours d’identification et d’enrôlement des électeurs. Ce défi est désormais derrière nous. L’observation électorale que nous venons de faire en Suisse nous aide à percevoir avec audace et responsabilité les défis qui restent encore pendants chez nous, particulièrement en ce qui concerne la confiance des parties prenantes et des populations dans le processus électoral. Voyez-vous, en Suisse on peut voter par correspondance sans que cela ne puisse entraîner de suspicions; le dépouillement se fait sans qu’on puisse observer de tension autour de cette opération ; les perdants acceptent sportivement leur défaite sans en appeler à brûler le pays pour satisfaire leur ego. Nous avons, en tant que jeune démocratie, beaucoup à apprendre de toutes ces expériences, sans oublier le volet technique qui a également éveillé notre intérêt, notamment en ce qui concerne la consolidation numérisée des résultats des scrutins. N’oubliez pas qu’en ce qui concerne le système électoral congolais, nous étudions les mécanismes qui nous permettront de réduire au maximum le délai qui sépare la fin du vote de l’annonce des résultats.

La CENI attaque la seconde phase des dernières treize provinces restantes pour l’enrôlement. Quel regard jeter sur le déroulement des opérations dans les treize premières provinces enrôlées?
Le premier constat, est que dans la province-pilote du Nord-Ubangi et les autres provinces des aires opérationnelles 1 et 2, il y a eu engouement tel que nous avons atteint le chiffre de 21.711.155 enrôlés alors qu’on s’attendait à un peu moins de 20.000.000. Je vous laisse qualifier cela vous-même. Nous avons donc là une opération maîtrisée qui ne manque pas d’écueils, mais maîtrisée. Les écueils sont gérés avec responsabilité et nous avançons. Ce qui est sûr est qu’en ce qui concerne la CENI, nous avançons sûrement vers les élections et souhaitons que les différentes parties prenantes puissent consolider la démarche technique de la CENI. Comme le reconnaît si bien le récent rapport de la mission d’évaluation et d’appui technique de l’OIF (l’Organisation Internationale de la Francophonie, ndlr.) rendu public en date du 29 avril 2017, qui dit, je cite «le résultat des opérations d’enrôlement conduites dans les 13 premières provinces attestent tant les capacités techniques organisationnelles et opérationnelles de la CENI que l’engouement populaire».

Comment expliquer le succès constaté à ce jour en mobilisation des électeurs?
L’évaluation de l’opération dans la province pilote du Nord-Ubangi avait révélé une relative faiblesse de mobilisation, particulièrement dans le chef des partis politiques et autres parties prenantes. Depuis lors, nous avons pris des dispositions pour impliquer davantage les partis et surtout les élus dans la sensibilisation de la population. Le succès constaté peut donc être mis à l’actif de tous ces acteurs impliqués dans la sensibilisation. Il y a sans doute d’autres mobiles particuliers qui motivent les uns et les autres, notamment du fait que la carte d’électeur tient lieu de carte d’identité dans notre pays. Tout compte fait, l’engouement constaté témoigne de l’engagement des populations dans le processus et leur appropriation de ce dernier. C’est cela le plus important.

Qu’est-ce qui a marché cette fois et qui n’a pas marché lors des campagnes précédentes?
Comme vous le savez, le fichier constitué en 2005 a permis l’organisation du référendum en décembre 2005, et des scrutins présidentiel, législatifs nationaux et provinciaux en juillet et novembre 2006. La refonte de ce fichier en 2011 n’a permis que l’organisation des élections présidentielle et législative. Dans les deux cas, devant la méfiance des acteurs, l’option levée était l’enrôlement biométrique des électeurs en utilisant la technologie de pointe. Et je ne dirai pas que les campagnes précédentes n’ont pas marché mais laissez-moi vous donner quelques améliorations au fichier en cours de constitution qui permettent de garantir la sécurité des données. Le dispositif actuel a été amélioré tant au niveau du hardware que du software. Au niveau du hardware, on est parti du Kit grand format et lourd en 2005 et 2011 à un format miniaturisé et léger aujourd’hui. En dépit de cette miniaturisation, le nouveau matériel intègre plus de composants notamment le scanner et le lecteur d’empreinte digital à 10 doigts, ainsi que la camera webcam. Du point de vue du software, on note quelques améliorations importantes. Tout d’abord, le système permet désormais la photographie qui respecte la norme ICAO, qui est la norme internationalement reconnue à ce jour et qui rend ainsi le fichier électoral conforme aux principes directeurs du fichier d’état civil. En outre, le système permet l’intégration et la comparaison des empreintes digitales des 10 doigts pour chaque électeur alors qu’en 2006 et 2011 cette comparaison ne pouvait se faire que sur 2 doigts. Bien plus, fort de la stabilisation de la nomenclature des entités administratives du pays, le système permet la sélection et non la saisie de ces dernières jusqu’au niveau le plus bas c’est-à-dire le village. Enfin, le système établit un lien cohérent pour chaque électeur entre son numéro national, le numéro de série de sa carte d’électeur ainsi que tous les documents administratifs ayant servi de soubassement à son enrôlement. La combinaison de ces deux forces du matériel et du logiciel permet la détection aisée de toute inscription multiple d’une part et la sécurité des données des électeurs enrôlés d’autre part.

A l’Est, il est établi que la CENI a enrôlé des étrangers et, situation aggravante, des réfugiés rwandais. Quel problème s’est-il posé?
Je voudrais tout d’abord affirmer que le fichier en cours de constitution de par sa conformité aux exigences légales est un fichier fiable devant permettre la tenue des prochains scrutins à tous les niveaux. Il n’est pas exclu que des personnes n’étant pas éligibles aient pu frauder en se procurant l’une ou l’autre pièce répondant aux exigences légales pour l’enrôlement d’un électeur. N’exagérons donc rien. Je vous ai parlé d’une opération maîtrisée dont les écueils sont gérés avec responsabilité. Somme toute, l’importance desdits écueils n’est pas significative au regard des résultats. Ils n’ont aucune influence significative sur le processus. Ce qu’il faut, ce n’est pas amplifier la moindre indication relative à l’enrôlement d’étrangers, mais de suivre ce que la loi prévoit à cet effet. Il faut noter que la procédure d’identification et d’enrôlement des électeurs exigent l’affichage quotidien des listes albums des personnes enrôlées devant les centres d’inscription. La loi quant à elle, oblige tout citoyen à dénoncer, dans les formes prévues, les personnes inscrites qui n’en auraient pas qualité. Apparemment, beaucoup ignorent leur devoir légal quant à ce. Dans le cas du Nord-Kivu, puisque c’est certainement celui que vous insinuez, il a été rapporté une certaine négligence dans le chef de certains agents dans la gestion des cartes d’électeurs et une tentative d’enrôlement en ligne contournant ainsi la loi. La CENI a diligemment sanctionné ceux des membres de son personnel dont la culpabilité était avérée dans ce dossier par une révocation pure et simple. Pour le reste, la CENI applique les lois; elle ne légifère pas. Elle enrôle les candidats électeurs conformément aux conditions fixées par la loi. Elle n’a pas de raison de ne pas enrôler un requérant qui remplit lesdites conditions.
S’il y a une faiblesse au niveau de ces conditions et que certains en profitent indûment, c’est au législateur d’y remédier, pas à la CENI qui ne fait qu’appliquer la loi. Voilà donc toute la complexité de ce dossier qui doit nous interpeller tous en tant que congolais sur l’impérieuse nécessité de procéder au recensement administratif de la population afin de constituer un registre d’état civil et délivrer à toutes les congolaises et à tous les congolais une carte d’identité nationale.

Ces réfugiés auraient été «importés», semble-t-il, par des hommes politiques congolais soucieux de s’assurer des voix aux prochaines législatives, du Nord-Kivu jusqu’en Ituri. Ce sont des accusations extrêmement graves pour la CENI. Monsieur le Président avez-vous établi les responsabilités et pris des sanctions alors que certains font état d’une stratégie délibérée?
Je viens de vous dire que les coupables côté CENI ont été sanctionnés. Quant à savoir si cela procède d’une stratégie délibérée, et qui en est le concepteur, cela relève de la compétence de services étatiques autres que la CENI qui a hâte d’avoir toute la lumière là-dessus. Cependant si vos supputations venaient à être confirmées, alors nous serions devant une situation préoccupante, non seulement pour la CENI, mais pour la République, puisqu’il s’agirait des questions qui excèdent la matière électorale du fait qu’elles toucheraient la citoyenneté, la sécurité nationale voire la souveraineté de l’Etat congolais. On ne peut se permettre d’entrer dans ce jeu-là.

Face à une telle situation, les critiques légitimes ne vont pas manquer, pensez-vous devoir revoir vos listes pour rester crédibles?
Comme indiqué tout à l’heure, le fichier en cours de constitution est crédible de par sa conformité à la loi. Ce qu’il y avait à corriger l’a été de par nos traitements rigoureux des données. Je ne crois pas qu’il faille, à cause d’un incident somme toute bien cerné, en arriver à généraliser le soupçon. Ce ne serait profitable ni au processus ni au pays. Le plus important, c’est la gestion efficiente des problèmes qui se présentent, chose qui est faite avec toute la responsabilité requise en ce qui concerne la situation que vous évoquez.

Pensez-vous qu’il y a eu ces mêmes problèmes ailleurs qu’à l’Est du pays?
Des cas de personnes enrôlées sans en avoir qualité ont été signalées dans toutes les aires opérationnelles dans les zones frontalières, mais nous sommes techniquement outillés pour les gérer. Je rappelle que la loi en prévoie la possibilité et stipule clairement la manière dont ces cas doivent être gérés.
Sans vouloir rien minimiser, je suis tout de même étonné du nombre de questions que vous me posez là-dessus alors que vous n’évoquez pas du tout le cas autrement plus grave d’insécurité dans certaines parties du territoire nationale.

D’autres critiques portent sur un certain favoritisme. Ainsi, la CENI aurait aidé des hauts responsables à réaliser des forts taux d’enrôlement dans leurs fiefs électoraux en réduisant au maximum les distances qui séparent les centres d’enrôlement...
La CENI est composée de personnes venues d’origines diverses tant du point de vue géographique qu’idéologique. Je ne vois pas comment toutes ces personnes se mettraient d’accord pour favoriser tel acteur de tel coin au détriment des autres. Les critères retenus pour l’implantation des centres d’inscription l’ont été sur une base totalement objective, notamment la garantie que chaque groupement puisse disposer d’au moins un centre d’inscription; qu’aucun électeur n’ait à parcourir plus de 10 kilomètres pour atteindre un centre d’inscription, etc. Il y a également, bien sûr et pour les mêmes raisons objectives, le souci de ne pas priver de centre d’inscription des communautés situées au sein d’un même groupement, mais qui sont de fait séparées par une barrière naturelle ou humaine. C’est le cas dans des groupements où cohabitent des peuplades en conflit: dans ce cas, nous avons garanti un centre d’inscription à chacune des communautés concernées. Vous voyez bien que cela n’a rien à voir avec ce que vous appelez favoritisme.

L’enrôlement à Kinshasa qui vient d’être lancé vous parait-il difficile ou, au contraire, facile?
De toutes les provinces du pays, la ville de Kinshasa est celle qui pose le moins de problèmes logistiques possibles, principalement à cause de la présence du siège de la CENI. Du coup, il y est plus facile de déployer aussi bien le matériel que le personnel. A Kinshasa, on peut plus facilement réparer une panne de machine, il y est plus loisible aux contrôleurs techniques d’y agir dans le cadre de leur mission, etc. Au besoin, même le président de la CENI en personne peut se déployer en urgence si une situation particulière l’exige. C’est donc plus facile à Kinshasa que dans les autres provinces. N’oubliez pas qu’il y a des territoires où le déploiement de matériels a dû être fait à dos d’hommes pendant une dizaine de jours à travers un territoire où opèrent des groupes armés. Kinshasa n’a pas ce type de problèmes. Cependant le défi à Kinshasa est d’un tout autre ordre; à savoir la sécurisation de par la densité de la population mais aussi la politisation et une manipulation éventuelle. L’opération est lancée depuis près d’une semaine et révèle l’engouement des électeurs à se faire enrôler et l’appel de la classe politique toutes tendances confondues à l’enrôlement massif des Kinois.

En clair, vous vous attendez à quel chiffre?
Les prévisions pour Kinshasa sont de 4.413.038 électeurs. Mais un dépassement à Kinshasa de ces prévisions n’est pas à exclure. Tout est fonction de la mobilisation des uns et des autres.

Pourquoi n’avoir pas lancé l’enrôlement sur toute l’étendue de la Capitale et avoir choisi d’abord
4 Communes sur les 24?

Simplement pour des raisons d’efficacité. Kinshasa compte 969 Centres d’inscription avec plus de 4 millions d’électeurs attendus. La prise en charge managériale et technique efficace d’une telle opération requiert un lancement progressif en stabilisant les centres lancés avant d’en ouvrir d’autres. Au regard de la sensibilité du fichier, l’enrôlement se fait toujours de manière graduelle, ce que nous avons fait en provinces et c’est également ce qui se fait ailleurs. A partir de ce vendredi 2 juin, nous étendrons à 17 autres communes et, la semaine prochaine, nous couvrirons toute la capitale.

Les opérations d’enrôlement doivent durer 90 jours au total. Mais ne risque-t-on pas de dépasser le 31 juillet? En clair, le deadline que s’est fixé la CENI elle-même semble ne plus tenable...
La CENI travaille pour mettre en œuvre un fichier fiable et inclusif. Chaque partie du territoire national doit pouvoir bénéficier du même traitement que les autres en termes de délai, de matériels et autres. Sinon, en l’absence de traitement équitable, les mêmes qui nous accuseraient de ne pas respecter le deadline prévu risquent de nous accuser de partialité. La CENI ne saurait expliquer en effet qu’au Nord-Kivu et au Nord-Ubangi, par exemple, elle ait accordé 90 jours d’enrôlement aux électeurs et qu’elle en accorde moins au Kasaï ou à Kinshasa.
Le plus important c’est qu’on avance vers les élections et ça, c’est aujourd’hui plus que jamais, à portée des mains des Congolais. Entretemps, il y a des cas de force majeure qui doivent être maitrisé par qui de droit. C’est le cas des problèmes de sécurité au Kasaï, de la présence des Mbororo dans les Uele et l’épidémie d’Ebola déclarée dans le Bas-Uele.

Vous avez offert le changement de mode de scrutin comme solution au défit électoral du pays, comment avance ce projet? En clair, avez-vous fait des propositions au Gouvernement?
L’accord de la Saint-Sylvestre en son point IV 4 recommande, entre autres, au gouvernement et à la CENI d’explorer les voies et moyens de rationalisation du système électoral pour réduire le coût excessif des élections. Étant donné que la loi électorale doit être révisée pour notamment corriger toutes les références de la loi actuelle aux données de la population qui ne peuvent être disponibles sans l’organisation du recensement, cette opportunité devrait servir pour insérer les dispositions relatives au nouveau mode de scrutin, lequel ne requiert pas qu’on touche à la constitution. Les propositions y afférentes ont été transmises au gouvernement conformément à la Constitution et à la loi portant organisation et fonctionnement de la CENI. La CENI en appelle ainsi à un débat républicain pour en juger la pertinence.

Plus précisément, quelles sont ces options faites au Gouvernement en vue de rendre ce processus électoral congolais moins coûteux?
Je préfère laisser cette question au gouvernement qui doit encore délibérer sur ces options et juger de l’opportunité d’un projet de loi y afférent. Seulement alors un débat républicain pourra être ouvert sur la question. La CENI quant à elle, jouera son rôle de conseiller technique du Gouvernement et du Parlement sur cette question touchant le cadre légal, en vertu des dispositions importantes de la Loi portant organisation et fonctionnement de la CENI.

Le budget de la CENI avait été évalué à 1,5 milliards de dollars. Combien à ce jour le Gouvernement a-t-il décaissé?
Le budget des opérations électorales a été évalué à un peu plus de 1.3 milliard de dollars. Il sied de préciser que c’est un budget tri-annuel couvrant l’ensemble du processus électoral allant de l’identification et l’enrôlement des électeurs, les scrutins combinés présidentiel; législatif national et provincial et les indirectes y afférents ainsi que les scrutins urbain, municipale et local. Quant à savoir combien le gouvernement a décaissé à ce jour, rassurez-vous, nous n’en serions pas arrivés où nous en sommes n’eut été le financement du gouvernement. Entre temps, plusieurs gouvernements se sont succédés en un temps record. Il faut attendre que nous ayons remis les choses en perspective avec l’actuel gouvernement pour pouvoir procéder à l’exercice d’évaluation que vous souhaitez. Rien que le budget de l’opération d’identification et d’enrôlement des électeurs représente un peu plus de 400.000.000 de US dollars. En décembres 2015, un plan de décaissement de 300.000.000 de US dollars avait été approuvé par le Premier Ministre d’alors pour couvrir l’année 2016 c’est l’exécution de ce plan qui nous a permis d’arriver aux résultats que nous avons aujourd’hui.

La Délégation de l’Union Européenne à Kinshasa déclare dans la presse avoir versé à ce jour 20 millions de USD à la CENI mais il semble qu’il s’agisse de fonds offerts directement par l’Union Européenne elle-même à des associations des jeunes telle LUCHA et autres partis politiques choisis par elle sans que cela ne participe au Budget mis en place par la CENI? Que pouvez-vous nous dire?
Je n’ai pas personnellement suivi la déclaration que vous évoquez. Je ne suis donc pas en mesure de savoir dans quel contexte elle a été faite. Que je sache, l’appui des partenaires au processus électoral est multiforme: ils interviennent principalement en termes logistiques à travers la MONUSCO. Je saisis d’ailleurs cette occasion pour saluer l’apport logistique de la MONUSCO dans les opérations en cours. Les partenaires interviennent aussi en termes d’assistance technique: Il y a lieu de noter que la CENI bénéficie à ce jour de l’appui technique d’une soixantaine d’experts nationaux et internationaux de la MONUSCO et ce chiffre va évoluer jusqu’à 170. On compte aussi la présence d’une vingtaine d’experts du PNUD et de quatre experts de l’Union Européenne. Quant au financement, nous attendons encore les fonds promis qui devraient passer par le Basket FUND géré par le PNUD, dans le cadre du Projet d’Appui au Cycle Electoral Congolais (PACEC). Nous sommes en discussion technique sur la reformulation de ce projet en tenant compte des réalités du moment. Les discussions évoluent bien de ce côté-là. La CENI n’a pas connaissance d’avoir perçu ces 20 millions de US dollars.

Finalement quand pensez-vous annoncer le calendrier électoral?
Sans doute bientôt. Mais, comme j’ai eu à le dire à plusieurs reprises, la CENI doit au préalable avoir la lisibilité voulue sur le financement, la logistique ainsi que l’évaluation, conformément à l’Accord politique de la Saint Sylvestre, de la faisabilité des élections du point de vue technique, selon la séquence prévue par ledit accord. Dès que ces indications sont claires, le calendrier sera publié. Il y a déjà quelques bonnes nouvelles à cet effet notamment:
Un, l’appui logistique tel que stipulé par la Résolution 2348 du Conseil de Sécurité des Nations Unies qui donne un mandat clair à la MONUSCO quant à ce.
Deux, le débat en cours sur la loi des finances 2017 donnera des indications sur les décaissements. Ces deux facteurs associés à l’évaluation conjointe du processus par la CENI, le gouvernement et le Conseil National de Suivi de l’Accord (CNSA) ouvriront la voie à la publication du calendrier par la CENI. Nos équipes techniques intégrées sont déjà à pied d’œuvre et en voie d’évaluer la question.

Il s’agit bien du calendrier électoral global révisé et budgétisé…
Le calendrier électoral qui sera présenté, est celui qui tiendra compte des options levées par l’Accord politique de la Saint Sylvestre, notamment la révision du Fichier Electoral, la tenue de trois scrutins en une séquence unique, à savoir les élections présidentielle, législatives nationales et provinciales, et ensuite les élections urbaines, municipales et locales.

Quelle image la CENI jouit-elle désormais à l’international que vous visitez tant?
Les partenaires savent que la CENI travaille avec hardiesse pour faire avancer le processus électoral vers la tenue effective des élections attendues. Ils apprécient à leur juste valeur les performances atteintes par les opérations d’identification et d’enrôlement des électeurs. Ça, nous le savons parce qu’ils le disent. Pour autant que cette perception positive contribue à accroître la confiance dans le processus, nous nous en réjouissons. Mais la CENI étant l’arbitre, elle ne fait pas seule le jeu. La part des compétiteurs est toute aussi importante, sinon plus, pour la réussite du processus.

Votre Bureau a été sous menace de la classe politique. L’est-il toujours?
C’est à vous de me le dire. Si la CENI devait passer son temps à s’occuper de son propre sort, nous n’en serions pas où nous en sommes. J’espère que le travail accompli jusqu’à ce jour aura suffisamment démontré aux uns et aux autres que la CENI travaille pour tous afin de garantir des élections véritablement libres, transparentes, crédibles et apaisées. Elle n’est dans aucun plan politicien. Et quiconque veut l’y entraîner fait erreur.

Monsieur le Président, vous me paressez résolument positif...
J’ai toutes les raisons de l’être. Tenez, la situation d’aujourd’hui est nettement meilleure que celle de décembre 2016 en ce qui concerne le processus électoral. La CENI a déjà enrôles à ce jour plus de 25.000.000 d’électeurs sur les 42.000.000 attendus; ceci est un indicateur clair que nous cheminons sûrement vers les scrutins prévus. Je ne peux donc être qu’optimiste. Pour ce qui nous concerne nous en appelons à chaque partie prenante à jouer pleinement son rôle
Au Parlement de voter rapidement les lois en souffrance; au gouvernement de poursuivre les efforts de financement et de sécurisation du pays notamment dans les provinces du Kasaï, Kasaï Central et de la Lomami ainsi que de stabiliser les situations dans les provinces des Uélé en ce qui concernent la présence massive des éleveurs Mbororo, des refugiés Sud Soudanais et la menace de l’épidémie d’Ebola dont l’épicentre se trouve à Likati dans le territoire d’Aketi ; aux partenaires techniques et financiers, leur mobilisation au processus conformément à l’Accord de la Saint Sylvestre.

Au fait, certains vous voient rencontrant régulièrement le Président de la République pour lui faire rapport des travaux de la CENI et de quelques stratégies. Qu’en est-il au juste?
Les rencontres que j’ai avec le Président de la République, Chef de l’Etat, sont normales. Elles se situent en droite ligne dans le cadre constitutionnel et légal de la République Démocratique du Congo qui définit clairement la mission dévolue à la CENI, ainsi que ses rapports avec les autres Institutions de la République et les parties prenantes au processus électoral.
En effet, la Constitution du 18 février 2006, en son article 69, alinéa 3, fait du Président de la République, le garant du fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des Institutions.
La CENI en est une. L’article 7 de la loi organique de la CENI surenchérit. Il affirme l’indépendance de celle-ci par rapport aux autres Institutions de la République mais et, c’est important, précise qu’«elle bénéficie de leur collaboration». Elle rentre également dans le cadre des attributions du Président de la CENI telles que définies par la Loi organique qui fait de lui le lien de notre Institution avec les autres Institutions et les tiers, parmi lesquels tous les acteurs du processus électoral.
Le Président de la République dans ce cadre, doit être régulièrement informé de l’état d’avancement du processus électoral, des difficultés rencontrées. Et dans son rôle d’assurer cette régularité de fonctionnement des Institutions, trouver des solutions qui permettent d’avancer.
Ainsi, dans la mise en œuvre de l’opération d’Identification et d’enrôlement des électeurs, la CENI a été confrontée à des défis de divers ordres notamment en ce qui concerne la logistique, la sécurité et autres. C’est le Chef de l’Etat qui a permis de décanter la situation. Au demeurant, la CENI ne rencontre pas que le Président de la République. Dans le cadre de la collaboration et des concertations prévues par la loi, elle s’entretient régulièrement avec les deux Chambres du Parlement, le Gouvernement, la Cour Constitutionnelle, mais aussi avec les autres parties prenantes comme les partis politiques de toutes tendances, la Société Civile et autres partenaires, pour leur faire part des contraintes dont les solutions sont de leur ressort. Rassurez donc vos lecteurs et les électeurs: la CENI ne monte de stratégie particulière ni avec une Institution ni avec des acteurs politiques de quelque bord qu’ils soient. Elle donne l’information exacte à tous, car elle a l’obligation de conduire le processus électoral dans la transparence, la lisibilité et l’accessibilité pour tous les Congolais.
Enfin, laissez-moi profiter de l’opportunité que m’offre le Soft International pour remercier et rendre un hommage tout mérité:
Aux Membres de l’Assemblée Plénière de la CENI. C’est grâce à leur cohésion, à la foi solide en leur mission, à leur esprit d’équipe sans faille, à leur engagement et à leur sens du devoir qu’aujourd’hui, le processus électoral est en très bon chemin avec plus de 25 millions d’électeurs inscrits.
Aux cadres et agents de la CENI, particulièrement au Secrétaire Exécutif National ainsi qu’à son personnel permanent et opérationnel qui, chacun à son niveau, brave chaque jour des dangers de tous ordres et fait son travail consciencieusement jour et nuit, dimanche et jours fériés s’il le faut, pour que le processus électoral avance et en soit là où il en est aujourd’hui. A ceux qui ont perdu la vie, en pleine exécution de leur mission, ils sont 19 agents dont 7 policiers et M. Iyamba, Chef d’antenne de Dekese, décapité parce qu’il faisait son travail.
A tous ceux-là, un hommage particulier. Leur sacrifice n’a pas été vain: ce sont des martyrs de la démocratie.
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