Ils ont prêté serment – Il a pris acte
  • jeu, 22/10/2020 - 18:24

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1504|JEUDI 22 OCTOBRE 2020.

Elle a eu lieu. Le 21 octobre 2020. Trois mois plus tard certes, jour pour jour, après que l’ordonnance présidentielle eût été signée le 17 juillet. Mais elle a eu lieu cette prestation de serment constitutionnel. Trois mois plus tard sans que certes la guerre ne faiblisse et le front ne se calme, bien au contraire.

Trois mois plus tard dans un total tohu-bohu - un discours d’affrontement qui rappelle les années Conférence nationale souveraine quand Mobutu fut mis en difficulté par les siens et par le pays - qu’importe! Elle a eu lieu cette cérémonie de prestation de serment annoncée de tous les dangers.

Ni en présence certes du Premier ministre, ni en présence des deux Présidents des Chambres, ni en présence de certains ministres de la République, ni en présence de certains élus - ceux enregistrés sur des listes du PPRD-FCC - mais qu’importe! Ils n’avaient répondu - sans trop y croire pour certains mais avaient-ils le choix, il fallait faire montre de cohésion, de loyauté même de façade - à l’appel de leur plateforme politique.
Qu’importe ! La fête a eu lieu avec à la clé la fraîcheur de la météo quand la veille un soleil de plomb avait écrasé la Capitale...

TOUT EST
COMPLIQUE AU CONGO.
Comme officiellement annoncé dimanche 19 octobre, les trois magistrats nommés à la Cour constitutionnelle, la plus haute juridiction du pays - cette cour «juge pénal du Président de la République et du Premier ministre pour des infractions politiques de haute trahison, d’outrage au Parlement, d’atteinte à l’honneur ou à la probité ainsi que pour des délits d’initié et pour les autres infractions de droit commun commises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions», art. 164 - ont donc prêté serment mercredi 21 octobre - le premier Dieudonné Kaluba, à 11 h50’, après que le Président de la République apparu clairement revêtu de toute sa puissance, de sa suprématie et de sa grandeur, eût fait son entrée à 11h17’ sur le parvis du Palais du Peuple, où les honneurs militaires lui furent rendus.
En 59’ chrono, après le début de la cérémonie, l’affaire appartenait à l’Histoire.

La veille, le siège du Parlement avait été réquisitionné par les services de la Présidence de la République, disponibilisé par le Parlement. Rien de ce qui est arrivé n’était pas annoncé, ni prévu. Le reste importe peu. «Circulez, il n’y a rien à voir».
«Il n’est pas facile d’être le Zaïre», ne cessait de répéter Mobutu qui n’avait pas toujours tort quand il prenait la parole. Dans ce pays immense, aux mille tribus et aux mille cultures - qui font sa richesse et ses problèmes - au cœur et au centre du Continent, avec sa myriade de trésors du sol et du sous-sol convoités par les voisins et par le monde, qui a opté pour la démocratie, avec ses mille partis politiques et ses mille ONG, tout est compliqué.

Mais qui oublie que la politique est croc-en-jambe voire coup de grâce mortel ! En clair, manœuvre, esquive, diversion. Le chef tue toujours et se sauve toujours. S’il ne tue pas, il est tué. Jamais ce classique du machiavélisme n’a jamais eu tort. On peut le critiquer publiquement, tous le pratiquent fidèlement, assidûment.
Lundi 20 octobre, la veille de la prestation de serment, le FCC, le Front Commun pour le Congo, dont le parti phare est l’ex-parti présidentiel kabiliste PPRD, s’est fendu d’un énième communiqué élaboré par son officine juridique toujours en pointe.

UN OUBLI
FLAGRANT NEANMOINS.
Rappelant son communiqué du 21 juillet 2020, qui avait « dénoncé l’inconstitutionnalité des deux ordonnances présidentielles du 17 juillet 2020 en des termes non équivoques en se fondant, d’une part, sur l’absence de contreseing du Premier ministre en violation de l’article 79 de la Constitution et d’autre part sur le principe intangible de l’inamovibilité des juges constitutionnels dont le mandat, aux termes de l’article 158, alinéa 3, de la Constitution est de neuf ans non renouvelable», il aligne ses arguments de droit.

«L’article 7 de la loi organique n°013 /026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour (qui) dispose : « Il est pourvu au remplacement de tous les membres de la Cour, un mois au plus tôt ou une semaine au plus tard avant l’expiration du mandat».

Il explique que «les nominations et remplacements des juges concernés, étant intervenues en dehors des cas de figures prescrites ci-dessus, sont nuls et de nul effet car violant les dispositions impératives de la Constitution et l’article 6 de l’ordonnance n°016/07 du 22 août 2016 portant dispositions relatives au statut particulier des membres de la Cour Constitutionnelle qui prescrit : «Durant leur mandat, ils ne peuvent être nommés aux fonctions incompatibles (...)».
Puis : «Tout autant que le législateur définit le cadre formel et solennel de prestation de serment. En effet, l’article 16 de la loi organique précitée dispose que le dit serment intervient «dans les conditions déterminées à l’article 10 de la loi organique».

Il reprend in extenso cet article :
«Avant d’entrer en fonction, les membres de la Cour sont présentés à la nation, devant le Président de la République, l’Assemblée Nationale, le Sénat et le Conseil Supérieur de la magistrature représenté par son Bureau».
Mais le communiqué PPRD-FCC oublie - c’est trop important pour être flagrant - que c’est le Président de la République, Chef de l’Etat qui prend acte de cette prestation de serment. Lui seul et nul autre. En clair, si le Président de la République n’a pas pris acte de ce serment, celui-ci n’a pas eu lieu. Il n’a aucune existence. Et le juge concerné ne saurait prendre ses fonctions et exercer. Le Président de la République a été érigé par le législateur au cœur et au centre de ce processus. Il est la clef de voûte de l’architecture...

LE FCC EDICTE SA FETFA (SA FATWA).
Qu’importe pour la plateforme de l’ex-président qui poursuit sa saillie d’arguments invoquant «la pratique en la matière (qui) indique aussi bien le lieu que les parties prenantes tant à l’organisation qu’à la participation de cette cérémonie solennelle; qu’il en résulte que toute autre option actuellement envisagée est nulle et de nul effet».
Puis d’édicter sa fetfa - sa fatwa en quatre «lois»: «De ce qui précède, le FCC ayant tenté, en vain, de faire entendre raison à l’autre partie, informe l’opinion tant nationale qu’internationale de ce qui suit :

1. Le FCC refuse de cautionner toute violation intentionnelle et manifeste de la Constitution et ne se sent pas concerné par la cérémonie irrégulière de prestation de serment projetée ce mercredi 21 octobre 2020. En conséquence, tous ses cadres évoluant au sein des institutions n’y prendront pas part.

2. Le FCC dénonce la violation intentionnelle du siège du Parlement et appelle la population, qui a massivement voté, par référendum, la Constitution en vigueur, de se tenir prête à résister et à s’opposer à toute tentative de passage en force tendant à imposer le fait accompli d’une nouvelle Cour aux ordres, assise sur des graves violations des dispositions basiques de la Constitution, partant à toute dérive dictatoriale.

3. Il invite le Président de la République au strict respect de son serment constitutionnel, à savoir: «observer et défendre la Constitution et les lois de la République.
4. Le FCC prend à témoin la Communauté Internationale de constater la retenue dont il a fait montre dans ce dossier et de prendre action dans le sens qui conforte l’état de droit et consolide la démocratie».

Surprise - le Diable n’est-il pas dans les détails ? - le communiqué est non signé sauf par... une « Conférence des Présidents ». Aucun nom n’apparaît nulle part, nul n’a pu, su, eu le courage de franchir le Rubicon. Un tract? Plus grave... D’ordinaire c’est son coordonnateur en chef, au nom de l’Autorité morale du FCC, le président honoraire Joseph Kabila Kabange qui prend le devant, fonce la foule, la perce sous son cri martial. Là, rien !
Or, ce premier fidèle du camp, le gardien du Temple, n’agit que sur ordre. N’en a-t-il pas reçu le go, cette fois expressis verbis, sous forme d’oracle?

Au Parlement, au parti, ce sont des seconds couteaux qui se sont exprimés et si du courrier a été signé et expédié par les deux Présidents des Chambres c’est sans se référer au bureau ou à la plénière de chacune des Chambres enfreignant ainsi le règlement intérieur qui les préside et, du coup, irrégulier et attaquable.

LE PRESIDENT
QUI TEMPORISE.
Mais au fond, en quoi, cela gêne Kabila, Sénateur à vie, à propos de qui, l’un de ses proches disait tout récemment : «Fin 2018, j’étais mort, ou parti en exil ou emprisonné. Avec lui Kabila. Deux ans après la passation de pouvoir en janvier 2019, je ne suis ni mort assassiné, ni en exil, ni en prison. Lui non plus n’est ni mort, ni en exil, ni en prison. Lui et moi vivons librement dans le pays. Lui et moi circulons librement dans le pays. Tout cela grâce au Président de la République, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo. Comment ne pas lui être redevable!».

Il est vrai que le Congo en pointe dans l’expérimentation des modèles politiques vit une coalition qui ressemble plus à une cohabitation tant que les acteurs s’écharpent.
Au départ, c’est le Président de la République, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo lui-même - de bonne foi - qui temporise, trouve l’excuse, met ces bisbilles au compte d’un apprentissage collectif à encourager quand des années durant ceux qui se sont accouplés se sont regardés comme chien et chat.
Certes, jamais nulle part, la cohabitation n’a jamais vraiment fonctionné. Le cas d’Israël, de l’Italie, de l’Allemagne parfois, de la France...

Sous Mitterrand-Chirac (mars 1986 - mai 1988), il y eut même un clash sinon des périodes de crispation ou de tension entre les deux têtes de l’exécutif. Ainsi, Matignon réussit à court-circuiter l’Elysée et l’exclure de certains canaux d’informations. Le Gouvernement Chirac parvint ainsi à ordonner au ministère des Affaires étrangères de ne plus informer la cellule diplomatique de l’Elysée et de ne plus lui envoyer les télégrammes diplomatiques.

On rappelle ce vif débat télévisé de l’entre-deux-tours quand les deux personnes se retrouvent au deuxième tour de la Présidentielle marqué par une ultime humiliation. En plein débat, mal inspiré, Jacques Chirac affirme alors à François Mitterrand : «Ce soir, je ne suis pas le premier ministre et vous n’êtes pas le président de la République. Nous sommes deux candidats, à égalité. C’est pourquoi vous me permettrez de vous appeler Monsieur Mitterrand ».
Et, en vieux routier de la politique, le Chef de l’État de répondre avec sarcasme: « Mais vous avez tout à fait raison, Monsieur le Premier ministre ». Le Président sortant fut réélu avec 54,02 % des voix.

Certes, sous le couple formé par le socialiste avec l’homme de droite modérée Balladur (mars 1993 - mai 1995), le régime put se maintenir en dépit des couleuvres que le Président fit régulièrement avaler au premier ministre au point où cette deuxième expérience française sous la Vè République fut surnommée « la cohabitation de velours » en raison des relations courtoises entre les deux hommes, Édouard Balladur faisant spécialement montre de respect de la fonction présidentielle.

Cela n’empêche pas mille frictions et notamment lors des événements du Rwanda suivis de la mise au point de l’opération qui donna lieu à de vifs débats au sein des autorités françaises, tant à l’intérieur de l’armée qu’au sein de l’autorité politique concernant le rôle de la France dans le génocide.

Ainsi, le 21 juin 1994, Édouard Balladur adresse un courrier de mise en garde à François Mitterrand sur les risques de dérapage néo-colonial de cette opération et l’idée qu’il se fait de ses objectifs humanitaires. Il y eut aussi, toujours en France, le couple Chirac-Jospin (XIe législature de la Vème République, 1997 - 2002), le Président de droite ayant fait remonter les bretelles à son premier ministre socialiste notamment lorsqu’à l’approche du scrutin présidentiel d’avril 2002, auquel il se représente, Chirac assomme son Premier ministre.

UNE REELLE
LEGITIMITE POPULAIRE.
Si, au départ, il avait qualifié la cohabitation de «constructive», deux ans plus tard, il dénonce le «manque de volonté d’agir » du Gouvernement « en matière de sécurité » et son «immobilisme » concernant les réformes à entreprendre». Chirac fut un triomphe (82,2 %) à cette présidentielle même si cela fut favorisé par la présence au second tour de l’extrémiste de droite très rejeté Jean-Marie Le Pen et son parti UMP, Union pour la majorité présidentielle, obtint, un mois plus tard, au scrutin législatif, la majorité absolue des sièges à l’Assemblée nationale. Ce qui marqua la fin de la troisième cohabitation française.

Qu’en conclure? Malgré frictions et tensions, refus d’avaliser et coups bas orchestrés par l’un ou l’autre, le Président de la République gagne et gagne toujours.
Ainsi en est-il de la Constitution congolaise qui fait du Président de la République le Chef de l’Etat. «Il représente la nation et il est le symbole de l’unité nationale. Il veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des Institutions ainsi que la continuité de l’Etat. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, de la souveraineté nationale et du respect des traités et accords internationaux» (art. 69).

«Le Président de la République nomme le Premier ministre» certes «au sein de la majorité parlementaire après consultation de celle-ci» mais c’est lui qui nomme et peut donc refuser de se voir imposer un nom qu’il ne désire pas. C’est encore lui qui «met fin à ses fonctions» certes « sur présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement» (art. 78).
C’est aussi «le Président de la République (qui) nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions» certes sur proposition du Premier ministre (art. 78).

Mais n’a-t-on pas vu le ministre de la Justice Célestin Tunda Ya Kasende être indexé au Gouvernement et quitter celui-ci? De même, c’est encore «le Président de la République (qui) convoque et préside le Conseil des ministres (...), promulgue les lois (et peut donc retoquer celles-ci), statue par voie d’ordonnance» (art. 79).

C’est toujours «le Président de la République nomme (qui) relève de leurs fonctions et, le cas échéant, révoque (...) les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires; les officiers généraux et supérieurs des forces armées et de la police nationale ; le chef d’état major général, les chefs d’état-major et les commandants des grandes unités des forces armées ;
les hauts fonctionnaires de l’administration publique ; les responsables des services et établissements publics ; les mandataires de l’Etat dans les entreprises et organismes publics (art. 81). Et ces pouvoirs peuvent être étendus par la prise des mesures exceptionnelles lors de la proclamation de l’état d’urgence comme ce fut le cas récemment (24 mars 2020-juillet 2020).

Et si on prenait tout du bon côté? Malgré chocs et coups perpétrés parfois par les tenants de l’Etat profond pour protéger ses intérêts matériels, malgré tous ces oiseaux de mauvais augure chacun rivalisant d’ardeur, le Congo est là, il vit.

«PROCESSUS
SEVERE, DETERMINANT».
Grâce à la légitimité populaire dont continue de bénéficier son Président et qui s’est à nouveau déversée naturellement et massivement mercredi 21 octobre dans les travées du Palais du Peuple, le pays est loin de s’être effondré. Et il ne s’effondrera jamais.

Mais le Congo et le monde n’auraient pu terminer cette journée d’Histoire sans lire la désormais icône de la plateforme Tweeter, @KitengeYesu @RDC_HautSpecial, qui informe - quoi qu’en dise - plus qu’il ne commente des péripéties. Voici : «Par solidarité moqueuse moi HR de mon état ai suivi la cérémonie à la TV. La 1ère d’un processus sévère, déterminant.

Les grands arbres (Félix) attirent des grands vents. Le FCC a engagé un corps à corps perdu d’avance. POT DE TERRE CONTRE POT DE FER. Victoire au Peuple souverain».
Au moment où Le Soft International va sous presses, pour cette deuxième édition d’une grande semaine, le posting semblait mettre le cas sur les 1.200 likes. Proficiat!
T. MATOTU.


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