- lun, 17/11/2025 - 09:28
par Tryphon Kin-kiey Mulumba, « Une histoire du Congo, de Mobutu à Tshisekedi, ce que je sais », Paris, le Cherche-Midi, 456 pages, 2025.
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
LE SOFT INTERNATIONAL N°1648 | VENDREDI 14 NOVEMBRE 2025.
Trente juin 2025. Cela fait soixante-cinq ans que le Congo a arraché sur papier son indépendance aux Belges, qui furent en réalité des porte-voix des Occidentaux.
Dès le lendemain de l’annonce de cet événement, le 30 juin 1960, après le discours non programmé jugé insultant du Premier ministre Patrice-Émery Lumumba, les Belges firent leurs adieux au Congo, et quittèrent massivement le pays. Le 6 juillet, l’armée entama une mutinerie. Elle n’avait pas digéré le discours du général belge Émile Janssens, commandant en chef de la Force publique, prononcé le 5 juillet. Il eut cette phrase qui traversa l’histoire : « Avant l’indépendance égal après l’indépendance. »
En clair, l’indépendance n’a rien changé, et elle ne changera rien. Tout restait en l’état, comme avant, à en croire le général belge. Les soldats congolais se sentaient maltraités et espéraient avec la proclamation de l’indépendance un changement de leur situation. Ils ne purent entendre ce discours sans réagir.
Le 11 juillet, le Katanga, la grande province minière du pays, fit sécession. Les nouvelles autorités virent à la manœuvre l’ancienne puissance coloniale, parlèrent d’« agression belge » et rompirent les relations diplomatiques avec la Belgique. Le pays s’embrasa. La première guerre civile débuta. Le 16 juillet, à l’appel de Patrice-Émery Lumumba menacé d’être tué par les mutins, les Casques bleus des Nations unies débarquèrent à Léopoldville.
Depuis, rien n’arrêta ces guerres. Le Congo vit et reste prisonnier de conflits qui n’en finissent pas. Est-ce la faute des puissances planétaires qui contrôlent le monde et verraient d’un mauvais œil la montée en puissance d’un pays d’Afrique gâté par la nature? Ou la faute revient-elle aux Congolais eux-mêmes, à l’élite politique ou intellectuelle nationale incapable de prendre en main son destin ? La question mérite d’être posée.
Or, ce 30 juin 2025, la grande date de l’histoire du Congo fut vécue comme ces dernières années, sans la moindre petite manifestation, nulle part dans le pays. Le Congo connaîtra-t-il un jour à nouveau ces parades militaires et civiles géantes défilant et montrant à la planète la force et la gloire de ses armées, de ses armes, des manifestations qui autrefois sous Mobutu firent référence ?
Le pays est en guerre. Il est encore en guerre. Le pays agresseur, le Rwanda, est dans toutes les bouches, des Congolais comme des étrangers. L’absence de confiance entre les Congolais et les forces de sécurité du pays ne semble pas favoriser les rassemblements militaires. Mais cette guerre ne dure-t-elle pas depuis une trentaine d’années ? Combien de temps et combien de générations faudra-t-il encore attendre pour que le Congo et sa population retrouvent ces heures de célébration, de fierté, de reconnaissance, de légitimité ?
Et, en attendant, que sait-on de ces années avec Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo ? D’abord, disons-le tout de go, qui attendait le fils d’Étienne Tshisekedi wa Mulumba à la tête du pays ? Tout avait été monté par ses adversaires politiques, eux-mêmes soutenus par les puissances du monde, qui ne quittent pas du regard le pays au cœur et au centre du continent africain. Tout prit corps à la réunion de Genève qui aboutit le 11 novembre 2018 à l’accord qui citait le nom du candidat unique de l’opposition à la présidentielle du 23 décembre 2018. Des scrutins deux fois reportés depuis 2016. À Genève, ce fut donc Martin Fayulu Madidi. Un choix qui surprit alors que
Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président du parti historique d’opposition, l’UDPS, était donné par tous comme le grand favori. Qui dans le pays, parmi les proches de Kabila ou d’autres leaders de l’opposition, ne s’était pas moqué de Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo quand il avait décidé de rester dans la course ? Et qui ne s’était pas moqué de ceux qui l’avaient rejoint à CACH ? Qui avait voulu donner la moindre chance au fils d’Étienne Tshisekedi wa Mulumba ? Quels obstacles l’ancien pouvoir n’avait-il pas dressés sur son chemin et celui de ceux qui l’avaient rejoint ?
D’abord cette incroyable majorité parlementaire de type stalinien que les partis pro-Kabila,
FCC-PPRD, s’étaient octroyée et qui comptait alors plus de 300 députés sur 500 à l’Assemblée nationale. Même affluence à la chambre haute, dans les pouvoirs provinciaux et dans les assemblées, autrement dit à chaque couche de l’exécutif. Des élus politiquement désignés, qui avaient pour mission d’empêcher le nouveau président de la République de gouverner et de le pousser à remettre aussi vite que possible le pouvoir à ceux qui s’en présentaient comme les détenteurs légitimes.
Ensuite un conflit armé, dont l’origine est immémoriale, qui dressait le Congo face à ses voisins, le Rwanda et l’Ouganda principalement, éteint sous Joseph Kabila, avec l’aide du Président sud-africain Jacob Zuma et son « enough is enough, time for peace is now » prononcé le mardi 29 octobre 2013 devant les deux chambres parlementaires congolaises. Un conflit rallumé sous Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo en vue de mettre plus de pression sur le nouveau Président au cas où il s’obstinerait à rester sur son siège.
Que reste-t-il désormais de tout cela ? À ce stade, disons-le le plus clairement possible, miraculeusement sinon mystérieusement, c’est un espoir qui semble pointer à l’horizon. Minimisé comme ne l’avait jamais été un chef d’État ces dernières années, traité de tous les noms par ses adversaires politiques, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo fit preuve d’intelligence et montre d’une stratégie politique rusée lui permettant d’effacer de l’horizon tous ceux qui avaient tenté de le faire disparaître.
Il faut d’abord retenir ce que Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo a réussi politiquement, et qui sera cité dans l’histoire pour n’avoir jamais été vécu nulle part ailleurs dans le monde à l’époque contemporaine. Il fit basculer une majorité parlementaire politiquement fabriquée par les stratèges de son prédécesseur, une majorité parlementaire introuvable qui voulait imposer une cohabitation présentée comme une coalition en vue de pousser le nouveau Président à ne pas gouverner, mais à inaugurer les chrysanthèmes. Une majorité qui a rejoint le nouveau pouvoir avec armes et bagages. Il faut certes associer à ce phénomène inconnu dans le monde l’esprit de transhumance de l’homme politique congolais, en particulier son absence de conviction dans ce qu’il entreprend et qui le pousse dans les bras de celui qui a ou qui offre le plus.
Il y a ensuite le retour à Washington du républicain Donald Trump. Un retour qui a ouvert la voie à un deal minier historique, autour du minerai congolais dont les États-Unis ont tant besoin pour se maintenir face à la menace chinoise, en contrepartie duquel une garantie de sécurité a été offerte par le pouvoir américain. Un deal conclu et signé le 27 juin 2025 à Washington, qui semble petit à petit éloigner diplomatiquement une guerre imposée de l’extérieur.
Qui, il y a peu, aurait imaginé ces deux événements se produire au Congo ? Le Congo n’était-il pas au contraire voué à endurer sans fin la honte ? Mais ce retour dans la cour des grands, qui demande encore à se préciser et à se confirmer, laisse perplexes les trois voisins que sont le Rwanda, l’Ouganda et le Kenya, qui avaient misé sur la grande faiblesse du Congo et de fait ne comprennent rien à ce qui arrive. La peur a-t-elle changé de camp ? Certes, la diplomatie ne va jamais seule. Elle ne peut tout régler seule. Le « fight and talk » (faire la guerre et en même temps parler avec son adversaire) est dans la guerre la voie de la victoire finale. En d’autres termes, les combats sont faits pour appuyer les négociations. Il est vrai qu’il est impossible de rêver la victoire quand l’on n’a pas asséné un seul coup à son adversaire.
Comment ne pas être interpellé quand ailleurs, dans des guerres qui consistent à assurer la souveraineté et l’existence des uns en faisant valoir leur puissance et leur prédominance sur les autres, des armes viennent effacer de la carte des villes entières, éliminer des chefs suprêmes, sans qu’aucune voix ne se lève, nulle part au monde ? Cette planète n’est-elle pas en train de vivre une profonde mutation ?
Et les Congolais ne se posent-ils pas la question, eux qui sont systématiquement agressés et humiliés par des armées ennemies depuis une trentaine d’années et qui n’ont jamais retourné une seule fois leurs armes contre aucun de ces agresseurs ? Que peuvent-ils espérer de la diplomatie ?
Comment oublier ces critiques, ces dénonciations de toutes sortes, fondées ou non, se déversant jour après jour, finissant par devenir réalité dans les esprits, dans le pays et à travers le monde ? Une question fondamentale qu’à ce jour Mobutu avait le mieux maîtrisée et qui l’avait conduit à cimenter son ancrage national. La loyauté était la première norme exigée. Venaient ensuite la connaissance et la compétence. Enfin, pour fermer la marche, l’esprit du chef est primordial.
Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo est et reste Congolais, plein et entier. Il pense Congo jour et nuit et les Congolais devraient certainement chercher à mieux le connaître, mieux le comprendre et l’accompagner afin de faire triompher le seul intérêt qui compte, celui du Congo.
Lorsque, le 27 juin 2025, Donald Trump accueillit devant les télés et le monde, dans le bureau ovale, la ministre congolaise des Affaires étrangères, Thérèse Kayikwamba Wagner, et son collègue rwandais, Olivier Jean Patrick Nduhungirehe, lorsqu’il signa en direct les invitations à Washington adressées aux Présidents congolais et rwandais, après avoir déclaré peu avant, le 25 juin 2025, au sommet de l’Otan à La Haye, que « le Congo est à l’ordre du jour » et que « le Rwanda est entré terriblement au Congo, y a mené une guerre à la machette avec des mutilations terribles des populations », on ne saurait imaginer l’effet ressenti, ce que l’on pouvait y voir.
N’était-ce pas, en effet, un message pour l’histoire ! Qui aurait imaginé il y a peu des actes aussi forts posés en faveur du Congo, invitant le pays au cœur et au centre du continent africain à revenir au centre du jeu, et venant de la part de l’homme devant qui tous les dirigeants du monde se précipitent, même les « puissants pays » d’Europe ?
D’où les propos de Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, qui parmi les premiers déclara à la journaliste Hariana Verás Victória, correspondante permanente pour l’Afrique à la Maison Blanche, au Sénat américain, au Pentagone et au Département d’État : « Si cette guerre injuste prend fin – une guerre qui a fait des centaines de milliers de morts, certains disent même qu’elle a fait plus de victimes que la Seconde Guerre mondiale… alors, si le Président Trump parvient à mettre fin à cette guerre grâce à sa médiation, il mériterait ce prix Nobel et je serais le premier à voter pour lui. »
Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo sera suivi par deux autres Présidents sur le continent, les Présidents mauritanien Mohamed Ould Cheikh El-Ghazouani et gabonais Brice Clotaire Oligui Nguema. Accueillis à Washington du 9 au 11 juillet 2025 à l’occasion du premier sommet de l’administration Trump, en compagnie d’autres dirigeants africains, ils déclarèrent que Donald Trump méritait le prix Nobel de la Paix pour ses « efforts en faveur de la paix dans le monde ».
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu avait également annoncé, de son côté, qu’il proposerait la candidature de Donald Trump pour cet honneur.
Sans à nouveau rien anticiper sur ce qui arrivera demain – tout est possible dans le monde des hommes – ne faut-il pas voir dans ce retour du Congo au niveau international, une stratégie bien pensée par Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo ?
Le Congo n’est-il pas en passe, si tout est bien pensé et bien mené, si les promesses sont tenues – ce qui est une autre histoire – de gagner une guerre féroce qui aura fait plusieurs millions de morts ?
On peut tout lui refuser, mais l’histoire retiendra le nom de Tshisekedi comme celui d’un stratège. (...).





