La fin de la guerre est proche
  • lun, 17/11/2025 - 09:09

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
LE SOFT INTERNATIONAL N°1648 | VENDREDI 14 NOVEMBRE 2025.
Il aurait pu ne pas l'annoncer à Bélem, au Brésil, le 8 novembre, à ses compatriotes et au monde. Mais Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo a fait montre de stratégie achevée. À malin malin et demi. Ce fut un coup fumant.

« Je suis heureux de vous annoncer que les pourparlers dont il est question à Washington et à Doha arrivent à leur terme. Dans les prochains jours, la Maison Blanche va nous adresser officiellement une invitation à clôturer ce processus de l’accord de paix. Mais attention, nous ne sommes pas naïfs. Ce n’est pas nous qui avons provoqué cette guerre. Beaucoup de pays voisins profitaient de notre pays et de notre économie. Nous nous sommes battus pour mettre fin à cela. Nous sommes à la fin. Nous sommes sur le point de cueillir le fruit de la paix, le fruit d’une paix durable en RDC », déclare ce jour-là, en lingala, le président congolais. En octobre, c'est Kinshasa qui avait refusé de signer cet accord économique régional avec le Rwanda.

Depuis le 8 novembre, le Congo a levé les barrières. Il appelle à aller de l'avant dans le processus de paix. Paul Kagame surpris ? Gêné ? Sonné ? Hors de lui ? Le jour même, à Kigali, au XVIIIème Unity Club Forum, debout, avec un micro baladeur, allant dans un sens et dans l'autre, il déclare en Kinyarwanda que le texte signé à Washington « est truffé de beaucoup de malhonnêtetés », que, « le Rwanda a sa propre manière de vivre », que la signature de son ministre des Affaires étrangères, Olivier Jean Patrick Nduhungirehe « a été obtenue sous pression », que le Rwanda rejette cet accord.

KAGAME DANS LES CORDES.
S'en prend-t-il aux médiateurs américains et qataris, les défie-t-il, eux qui avaient tout supervisé, lors d'intenses négociations qui auront duré plusieurs jours à Washington ? Ne remet-il pas en cause l'intégrité de ces diplomates ?
Face au monde, face à son opinion publique, face aux pays des Grands Lacs, l'homme paraît assiégé. Il semble avoir été poussé dans les cordes.
Va-t-il demain confirmer son refus de signer le texte, donc décliner l'invitation de Donald Trump ?
Kagame est certainement inspiré par Vladimir Poutine en Ukraine ou Benyamin Netanyahou à Gaza. Sauf qu'il ignore la puissance de la Russie sur la planète terre qui fait reculer les stratèges américains ou les liens vitaux qui unissent les États-Unis à Israël, que Joe Biden a qualifiés un jour de « partenaire fondamental », expliquant que le soutien des États-Unis à la sécurité de l'allié du Moyen-Orient « est solide et inébranlable », que les Américains « feront tout pour qu'Israël puisse se défendre » et que les Américains marchent « coude à coude avec les Israéliens ».
Selon un rapport du Congrès américain datant de mars 2023, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, Israël est le pays au monde qui a reçu le plus de ressources des États-Unis. Entre 1946 et 2023, 260 milliards de $US ont été versés à Israël. Plus de la moitié de ce montant était destinée à l’aide militaire. Le soutien américain ne s’est pas limité à des actes financiers bilatéraux. Au Conseil de sécurité des Nations Unies, Washington a usé à plusieurs reprises son droit de veto pour s'opposer aux avertissements ou aux sanctions contre Israël pour ses occupations successives du territoire palestinien autonome.
Selon Stephen Zunes, professeur de science politique et fondateur du Centre d'études sur le Moyen-Orient à l'Université de San Francisco, cité en 2023, « dans l’histoire du Conseil, les États-Unis ont opposé leur veto plus de 80 fois. Dans plus de la moitié d’entre eux, les Américains ont agi ainsi pour protéger les Israéliens des critiques internationales. Et je dois mentionner qu'en général, les États-Unis ont été les seuls à voter (sur un total de 15) contre cette question au Conseil de sécurité de l'ONU ».

IL SE PREND POUR ISRAËL.
Outre, au plan politique et financier, la communauté juive que présente aux États-Unis, soit la plus grande population juive au monde (6 millions contre 6,5 millions en Israël), qui se déclarent être très ou assez attachés émotionnellement à Israël, il y a la guerre froide, qui a fait jouer à Israël un rôle décisif en infligeant des défaites aux intérêts soviétiques dans la région notamment lors de la guerre des Six Jours.
« Israël est le plus grand porte-avions de l'Amérique, il est insubmersible, il ne transporte aucun soldat américain et il est situé dans une région cruciale pour la sécurité nationale des États-Unis », avait déclaré le secrétaire d'État américain Alexander M. Haig, sous Ronald Reagan.
Description juste qui montre que la stratégie géopolitique est, selon Alexander M. Haig, la principale explication du soutien pratiquement inconditionnel des États-Unis à Israël.
«Le Moyen-Orient a été d'une importance capitale pour les États-Unis, car les gouvernements successifs ont poursuivi un large éventail d'objectifs interdépendants, notamment la sécurisation des ressources énergétiques vitales, l'éloignement de l'influence soviétique et iranienne, la survie et la sécurité d'Israël et des alliés arabes, la lutte contre le terrorisme, la promotion de la démocratie et la réduction des flux de réfugiés», explique Kali Robinson, un experte du Moyen-Orient au Council of Foreign Relations, dans un article de juillet 2023 sur les politiques américaines dans le conflit israélo-palestinien.
La fin de la guerre froide n'a pas changé de manière significative la façon dont les États-Unis traitent Israël. Cela s'explique en partie par le fait que la région reste un défi pour les Américains.
Le président rwandais pense-t-il pouvoir faire jouer ce rôle à son pays ? Ce serait croire que l'émir du Qatar, Tamim ben Hamad Al Thani et le président américain Donald Trump qui entretiennent d'excellentes relations entre eux, auraient pris en mains, devant le monde, le dossier de la paix au Congo, parce qu'ils n'auraient rien d'autre à faire. Le Qatar et les États-Unis ont des milliards de $US à investir et ils cherchent la région ou les régions où ils peuvent les investir pour s'assurer la domination du monde.
Les trente années de guerre imposées au Congo par les pays de la sous-région, en tête le Rwanda, offrent une opportunité à Doha et à Washington de mutualiser leurs moyens dans l'Est du Congo qui recèle des terres rares en vue de leurs intérêts stratégiques.
Face à la guerre dans les Kivu, face à l'incompréhension unanime des attitudes du régime rwandais, l'heure de la phrase de Jacob Zuma prononcée le 29 octobre 2013 devant le Congrès à Kinshasa (« enough is enough, time for peace is now », trop c’est trop, le temps de la paix c’est maintenant), paraît proche pour le Qatar et les États-Unis.
En irritant les grandes puissances et les organisations internationales qui ont fait le consensus sur la paix au Congo, Kagame a révélé sa vraie image. Le régime rwandais a perdu cette force diplomatique qu'il avait bâtie et sur laquelle il s'était assis. La paix est désormais proche. Si qui veut la paix prépare la guerre, au Congo de s'investir désormais plus que jamais dans la guerre s'il veut la paix.
T. MATOTU.


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