- mar, 05/07/2022 - 13:18
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1556|MARDI 5 JUILLET 2022.
Y'aurait-il quelqu'un pour prédire qu'entre Kinshasa et Kigali, on arriverait là ? Comment expliquer une escalade de violence qui effraie désormais les Occidentaux au point qu'à New York, aux Nations Unies, le 29 juin 2022, le représentant permanent du Royaume-Uni James Kariuki s’inquiète du «risque de guerre régionale qui paraît le plus élevé qu’il n’a été depuis de nombreuses années» entre Kinshasa et Kigali ? Au lendemain de la remise-reprise démocratique intervenue dans la Capitale en janvier 2019, tous les feux sont au vert, avec la présence inattendue, ovationnée, du président rwandais Paul Kagame, aux obsèques du Sphinx, Étienne Tshisekedi wa Mulumba, le père du président de la République, décédé en Belgique, mais dont le corps n'avait pu être rapatrié qu'à l'avènement au pouvoir de son fils.
Que de visites de Paul Kagame plus tard, Kinshasa, Goma. Que de rencontres entre les deux Présidents, que d'amabilités publiques, devant les caméras? Pour couronner le tout, des dessertes quotidiennes, Kigali, Kinshasa, Lubumbashi, Goma déclaré hub de la compagnie aérienne rwandaise ! Qu'est-ce qui s'est passé ? Mystère ! Le Mouvement M23 est-il «une milice de RDF», la Rwanda Defence Force, les Forces rwandaises de défense, comme le déclare l'ambassadeur congolais au Conseil de sécurité des Nations Unies, Georges Nzongola-Ntalaja ? Comment les deux Capitales poussent-elles aussi loin, en un temps aussi record, leurs relations pour revenir aussi vite au point de départ et même au niveau du régime de guerre des années Laurent-Désiré Kabila? Que pourrait donner la rencontre prévue à Luanda entre les présidents rwandais Paul Kagame et congolais Félix-Antoine Tshsisekedi Tshilombo autour du président angolais João Lourenço quand d'aucuns sentent que les chancelleries occidentales qui disposent de toutes les informations sur cette crise, ne jouent pas franc jeu ? Ci-après, un article (au titre qui en dit tout: Poker menteur de New York à Paris autour du rôle du Rwanda auprès du M23 d'Africa Intelligence) daté 1er juillet 2022 :
Les capitales occidentales et les Nations unies restent prudentes sur la gestion des éléments à leur disposition documentant un soutien du Rwanda au mouvement rebelle congolais M23. Au grand dam de Kinshasa.
Dans les cercles diplomatiques des Grands Lacs, tout le monde ou presque prétend disposer de preuves d'un soutien du Rwanda au mouvement rebelle du M23. Mais nul n'ose les dévoiler pour l'instant. Une présence sporadique, ou du moins des incursions, d'éléments des Rwanda Defence Force (RDF) sur le territoire congolais, dans des zones désormais en partie contrôlées par le M23, est établie pour les chancelleries occidentales.
Elle l'est également au siège des Nations unies (ONU) à New York, alimenté par les enquêtes de la Monusco. Des captations aériennes par drones tactiques - la plupart des appareils de l'ONU sont cependant cloués au sol - conjuguées à des renseignements de terrain constituent autant de faisceaux convergents, que le pouvoir rwandais dément catégoriquement.
S'ils sont invérifiables, des chiffres circulent dans les ambassades : 400 à 500 éléments des RDF ont pu fouler le sol congolais depuis l'intensification des combats en mars 2022, avec des cibles prédéfinies et limitées dans le temps. C'est le cas, selon plusieurs sources étatiques, dans la zone de Kibumba, à une trentaine de kilomètres au nord de Goma, où une centaine d'éléments des RDF ont été identifiés en mai lors d'affrontements contre des combattants des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR, un groupe armé constitué par d'anciens génocidaires hutus) et des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC).
D'autres incursions en «hit and run » soulèvent des interrogations, notamment dans la zone dite des «trois frontières» (RDC, Rwanda et Ouganda). Des RDF sont soupçonnés d'y apporter un soutien logistique et militaire au M23 contre les FARDC, appuyés par la force offensive de la Monusco (FIB) composée de soldats fournis par la Southern African Development Community (SADC). Ces unités conjointes ont enregistré de lourdes pertes humaines et plusieurs blessés.
IMAGES DES DRONES.
Selon des images captées par des drones et analysées par les services sécuritaires congolais, une cinquantaine de soldats des RDF en provenance du Rwanda se sont dirigés vers la ville congolaise de Bunagana le 13 juin, peu avant 20h.
Le lendemain, à 8 h, dans cette cité frontalière de l'Ouganda tout juste conquise par les rebelles, plus d'une centaine d'hommes en armes se sont rassemblés. Ils sont soupçonnés par des services occidentaux et congolais d'être des soldats des RDF et du M23. Trois jours plus tard, un missile a abattu un hélicoptère des FARDC un peu plus à l'ouest, en direction du village de Chengerero. Autant d'éléments de preuves avancés par les «services» congolais auxquels Kigali n'attache aucune importance.
Du côté de la Monusco, dont un hélicoptère s'était écrasé en mars après avoir essuyé des tirs de la part du M23, les enquêteurs disposent aussi d'éléments pouvant constituer des preuves sur l'implication du Rwanda. Si elle n'a pas mandat pour surveiller la frontière entre la RDC et ses voisins, la mission onusienne dispose malgré tout de certains moyens de renseignements qui lui ont permis de documenter un soutien - au moins logistique - des RDF aux forces du M23.
La Monusco a également transmis au cours de plusieurs réunions un certain nombre d'informations auprès d'ambassadeurs des pays membres du conseil de sécurité des Nations unies, ainsi qu'auprès de l'Union européenne (UE).
Tout comme les FARDC et les observateurs étrangers, les fonctionnaires de l'ONU s'étonnent de la montée en puissance du mouvement rebelle constitué en avril 2012 et partiellement démantelé l'année suivante.
La frange la plus éruptive s'est peu à peu reconstituée en 2016 en RDC, sous le commandement de son leader, Sultani Makenga. Durant la seconde guerre du Congo (1998-2002), ce Tutsi congolais avait servi dans les rangs des RDF sous les ordres de James Kabarebe avant d'intégrer, en 2007, les FARDC. Il a rejoint le maquis cinq ans plus tard.
Les liens étroits entre Makenga et un pan de l'establishment militaire rwandais intriguent autant les enquêteurs de l'ONU que les moyens matériels dont le M23 dispose aujourd'hui. Outre des lance-roquettes, les rebelles sont désormais dotés d'équipements de visée nocturne. Ce qui a surpris et bouleversé le rapport de force lors d'attaques menées nuitamment contre des positions des FARDC et de la FIB.
Dans cette configuration, les forces de la Monusco ne sont pas dimensionnées pour faire face. C'est ce qu'a reconnu la cheffe de la Monusco et représentante spéciale du secrétaire général de l'ONU, Bintou Keita, lors de son allocution le 29 juin au conseil de sécurité des Nations unies. Elle a ainsi jugé que le M23 s'apparente désormais à «une armée conventionnelle», et non plus à un simple groupe armé.
La diplomate onusienne a toutefois pris soin, devant les membres du Conseil de sécurité, de ne pas mentionner le nom du Rwanda dans ce dossier sensible. Sous pression de Kigali, qui accuse la Monusco de coopérer avec les FDLR au travers des FARDC, elle l'est également de Kinshasa qui n'est pas parvenue, malgré le recours à ses lobbyistes de Washington et Paris, à convaincre ses partenaires de dénoncer les agissements du Rwanda.
À l'égard du Rwanda, les Occidentaux se montrent particulièrement prudents. Ainsi, si les preuves se discutent à huis clos, elles ne se montrent pas. Seul le Royaume-Uni fait exception, Londres estimant que les éléments avancés ne sont pas assez probants. Cette position de prudence intervient dans un contexte de rapprochement avec le Rwanda, avec la tenue récente du Commonwealth Heads of Government Meeting (CHOGM) à Kigali, et la mise en œuvre de l'accord controversé sur l'expulsion des migrants.
Les autres chancelleries jouent un exercice périlleux consistant à exprimer leurs certitudes dans les huis clos et à préserver des relations privilégiées avec Paul Kagame, qui martèle auprès de ses interlocuteurs son absence d'ingérence dans un conflit considéré comme strictement congolais. C'est le cas de la France, où le président rwandais s'est discrètement rendu début juin et où il s'est entretenu avec Emmanuel Macron.
Le conseiller Afrique de l' Élysée, Franck Paris, et la ministre des affaires étrangères, Catherine Colonna, ont reçu, le 23 juin, le chef de la diplomatie congolaise Christophe Atapa Lutundula. Dans la foulée de cette rencontre, Colonna s'est immédiatement entretenue avec son homologue rwandais, Vincent Biruta. Dans la zone des Grands Lacs, la France mène une diplomatie d'équilibriste. Mû par sa volonté de ne pas froisser Kigali, dont il a fait un allié stratégique dans les dossiers mozambicains et centrafricains, Emmanuel Macron cherche dans le même temps à maintenir sa relation privilégiée avec Félix Tshisekedi.
De leur côté, les Etats-Unis ont été parmi les premiers à publiquement évoquer la «présence signalée» de soldats des RDF sur le territoire congolais. Toutefois, l'influence de Washington s'est considérablement réduite ces derniers mois et la diplomatie manque cruellement de relais dans la région : elle n'a toujours plus d'envoyé spécial pour les Grands Lacs et ses relations avec Kigali sont glaciales depuis l'arrestation de l'opposant Paul Rusesabagina.
Les Etats-Unis n'ont, par ailleurs, plus d'ambassadeurs au Rwanda depuis le mois de février. Pour le moment, suivant leur doctrine favorisant le rôle des organisations régionales dans la résolution de crises, les partenaires occidentaux soutiennent la médiation de l'Angola, mandaté par le président en exercice de l'Union africaine (UA), le Sénégalais Macky Sall.
Le chef de l' État angolais, João Lourenço, dirige actuellement la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL), dont le mécanisme conjoint de vérification est chargé d'examiner les éléments de preuves soumis par Kinshasa, ainsi que ceux transmis par Kigali, qui accuse les FARDC d'avoir, elles aussi, opéré sur son sol.
Cet organe de la CIRGL, établi à Goma et piloté par le général de brigade angolais José Rui Miranda, est toutefois jugé défaillant et trop consensuel dans ses rapports, remis le plus souvent avec beaucoup de retard. Alors que Félix Tshisekedi prendra en août la présidence de la SADC, il privilégie pour l'instant l'East African Community (EAC) présidée par le Kenyan Uhuru Kenyatta, qui l'avait politiquement soutenu lors de sa conquête du pouvoir.
Celle-ci mène une autre médiation qui ne dit pas son nom et a décidé de l'envoi à l'est de la RDC d'une force militaire régionale - en plus de l'opération ougandaise «Shuja», toujours en cours - sous commandement militaire kényan. Une décision soutenue par Moussa Faki Mahamat, le président de la commission de l'UA.
Sauf que l'adhésion de la RDC à cette organisation régionale reste virtuelle, car elle n'a toujours pas été ratifiée par le Parlement congolais. Celui-ci a prévu un vote sur ce sujet à la rentrée. En attendant, Kinshasa n'exclut pas d'ouvrir des discussions avec le M23 à condition qu'un cessez-le-feu soit établi, comme l'a récemment confié le chef de la diplomatie congolaise à plusieurs de ses homologues.
avec AFRICA INTEL.