- lun, 31/10/2022 - 16:44
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1564|LUNDI 31 OCTOBRE 2022.
Incroyable idée ! Folle idée exprimée aussi publiquement par un opposant congolais! Quelle mouche a piqué Martin Fayulu Madidi ? Qu’est-ce qui a pris « le président élu de la RDC», comme il aime à se faire appeler ? Qu’est-ce qui explique sa sortie jeudi 27 octobre 2022 sur les médias publics français, France 24 et Rfi, pour demander un « glissement » aux élections présidentielle et législatives congolaises ?
Lui, qui, il y a peu, était pour la tenue des élections à l’heure sonnée, sans une minute quelconque de dépassement ! Soit, exactement, la position de ceux qui semblent être désormais ses nouveaux alliés, à savoir, le camp FCC, Front Commun pour le Congo, de l’ancien président Joseph Kabila. Et ce n’est pas Le Soft international qui lui attribue cette appartenance. C’est son « best friend », il y a encore peu, l’ancien Premier ministre Adolphe Muzitu Fumunshi.
Certes, jamais sur le Continent, un opposant politique n’a vraiment été prêt ou pressé d’appeler les électeurs à se rendre aux urnes. Mais le déclarer aussi publiquement à ce point signifie qu’on cherche une négociation, qu’on réclame une position de pouvoir pour se faire une petite santé.
Fayulu le dit à haute et intelligible voix: Il voit un dialogue «autour d’une table avec l’Union sacrée de Félix Tshisekedi, le FCC de Joseph Kabila, (sa) coalition politique Lamuka et la société civile pour revoir la loi électorale et réexaminer la composition de la CÉNI et de la Cour constitutionnelle».
Étant désormais dans le camp des FCC - ce que les FCC n’ont jamais nié - l’ancien candidat malheureux à la présidentielle est-il désormais le porte-parole, le porte-drapeau de l’ancien président de la République qu’il avait longtemps vilipendé comme rarement ?
Dans la même sortie médiatique faite depuis Paris qui marquait la fin de sa tournée nord-américaine et donc son retour au pays, Martin Fayulu laisse entendre que cette fois, il est assuré d’être le prochain président du pays. Comment y pense-t-il vraiment ?
Comment y parviendrait-il sans l’appui de sa multitude d’ex-alliés qui avait fait de lui ce qu’il est devenu, en portant le député provincial de Kinshasa à travers le pays, sur des terres de l’arrière-pays où il n’avait jamais auparavant mis les pieds, et où il était un parfait inconnu ?
Fayulu a oublié à ce point Jean-Pierre Bemba Gombo qui l'avait adoubé à l’Équateur, Moïse Katumbi Chapwe qui l’avait présenté au Katanga, Antipas Mbusa Nyamwisi dans le Grand Nord Beni-Butembo, Adolphe Muzitu Fumunshi, Freddy Matungulu Mbuyamu Ilankir, Jean-Philibert Mabaya Gizi Amine qui lui avaient ouvert la route du Bandundu en lui faisant glaner des voix certes prétendant qu'il y était originaire sans savoir précisément de quel village il venait dont il ne parle pas la moindre langue locale. Mais où sont-ils désormais ceux-là dont certains s'annoncent déjà au départ ?
IL EVOQUE « LES EXPERTS».
Il est clair qu'en prenant la parole à Paris, Fayulu était porteur d'un message subliminal. Mais lequel exactement ? Et de qui ? Et transmis par qui ? Fayulu invoque « les experts » électoraux qui ne croient plus à la tenue des scrutins à la date constitutionnelle. Face aux contraintes, il n'a pas tort.
Dans ces mêmes colonnes du Soft International, un expert - et pas des moindres - Corneille Nangaa Yobeluo, président honoraire de la Commission électorale nationale indépendante (de 2015 à 2021), l'a écrit, en exclusivité, avec toute la précision scientifique. «Il s’observe que les facteurs sujets à inquiétude lors du processus électoral de 2018 sont en train de se reconstituer (...).
C’était vrai hier quand tout laissait entrevoir le spectre d’une apocalypse quasi inévitable à l’issue des élections. C’est toujours vrai à ce jour», écrit-il dans sa tribune intitulée «élections 2023 : le bon et le mauvais pas au regard de l'expérience» (Nangaa la bombe, Le Soft International, n°1562|vendredi 30 septembre 2022).
Si, à ce jour, le pays est toujours dépourvu d’un registre d’état civil, «les défis financiers, logistiques et sécuritaires sont devenus plus importants qu’en 2018 du fait de l’insécurité», écrit-il, dans cette tribune, qui décrit cette contrainte comme «le défi le plus important ».
Son ampleur est telle que le pays est en état de siège «dans deux provinces entières», Ituri et Nord-Kivu, «des tueries sauvages sont perpétrées au quotidien, une partie du territoire national est occupée et échappe au contrôle du gouvernement, sans compter la mosaïque de forces invitées, non invitées et incontrôlées, toutes présentes sur le même théâtre opérationnel; des violences meurtrières sont déplorées à Kwamouth», dans le Maï-Ndombe et dans le Kwango et le Kwilu, «le banditisme urbain a refait surface à Kinshasa».
Pour couronner le tout, «l’organe de gestion des élections lui-même reste sous le feu de la controverse politique, jetant le doute sur sa nécessaire impartialité dont des acteurs non-négligeables ne sont pas convaincus à la fois dans la classe politique et la société civile». Quant à la situation sociale, «encore et toujours, elle n’est guère reluisante».
Si Corneille Nangaa Yobeluo préconise «des passerelles entre acteurs politiques pour arriver à une décrispation, notamment obtenir un minimum de consensus requis sur les options majeures concernant les élections», le grand expert électoral dit malheureusement n'y voir aucune perspective d'ouverture. « En tout cas, telle n’est pas l’impression qu’a l’opinion », juge Nangaa (Nangaa la bombe, Le Soft International, op. cit.)
Reste que si par miracle, et contrairement à ce qu'affirment le Gouvernement et la Commission nationale électorale indépendante elle-même, le «glissement» a lieu, par quel inattendu, par quel mécanisme, hormis un coup d'état, «le président élu de la RDC» ferait-il partir - comme il le déclare sur France 24 et Rfi - le président du pays pour le remplacer par un président de transition?
L'article 70 de la Constitution ne stipule-t-il pas que «le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. À la fin de son mandat, le Président de la République reste en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau Président élu».
Fayulu n'est-il pas dans la lecture du projet de Genève - là où précisément, il se fit piéger, manipuler, sinon posséder par plus malin - qui avait miraculeusement porté à la candidature «le plus faible de tous» en contraignant celui-ci à abandonner le pouvoir au cas où il serait élu, après deux ans d'exercice sur les cinq ans prévus par la Constitution ?
Mais comment Fayulu aurait-il fait pour remettre dans la course ses mentors - ce qui était l'objectif ultime de la réunion de Genève financée par des minings - écartés de la candidature par les FCC?
Quand, devant témoins, à la veille des scrutins, la question lui est posée par un candidat président dont il sollicitait l'appui, l'incroyable réponse de l'homme tombe : « Je ne suis pas gourmand ».
Elle en dit tout. Mais par quel mécanisme y serait-il arrivé ?
En révisant la Constitution juste pour replacer en compétition ses mentors ambitieux ?
Si la politique a des rêves, elle a aussi des extravagances...
Parmi celles-ci, il y a en 2018 «le refus à mort» de la machine à voter dont le même Fayulu fut le champion. Ce qui l'avait pas empêcher d'y aller, «malgré tout».
T. MATOTU.