- mer, 18/01/2012 - 15:54
MISE EN LIGNE LE 18 JANVIER 2012 | LE SOFT INTERNATIONAL 1ERE ÉD. N° 1146 DATÉ 18 JANVIER 2012.
Face au devoir de réflexion, l’homme d’État prend de la hauteur, s’isole pour mieux appréhender le destin qui l’appelle. Procès à charge et à décharge: le luxe inconvenant d’une Céni décevante.
A l’entrée d’un vieil immeuble rafistolé boulevard du 30 juin à Kin qui sous les années Mobutu servit de siège social à une banque d’État à l’histoire trouble avant qu’il ne passe par un tour de passe-passe financier sous le contrôle d’un indélicat personnage devenu banquier qui voulut à prix d’or le recéder à l’État, l’excitation atteint son comble.
Les couloirs qui bordent les murs de cet immeuble sont plus fous les uns que les autres. Là, des carreleurs placent un sol sorti comme tout droit d’un jeu vidéo. Plus loin, des hommes placent d’étincelantes lampes sous un faux plafond.
Plus loin encore, des ouvriers transforment somptueusement salles d’attente, grand salon dont la fameuse Salle du 28 novembre qui renvoie à l’une des deux dates mortelles, avec le 6 décembre, qui ont fait incroyablement frémir le pays. Plus loin, plus loin, des fournisseurs transportent tables de bois noir, chaises de bureaux art-déco et sofas.
LE LUXE N’A JAMAIS ÉTÉ AUSSI PARFAIT.
La classe d’être à Washington en plein cœur de la misère kinoise! Dorures et moulures, jamais le luxe n’a été aussi parfait dans une ville et dans un pays aussi imparfaits...
A raison, le pasteur président de la Céni voulait travailler dans les meilleures conditions qu’exige sa fonction. Daniel Ngoy Mulunda Nyanga y est parvenu. Pour quel but? Avec quel résultat?
L’heure de la reddition des comptes ayant sonné et alors que de toutes parts, des critiques fusent, la question fait débat. Certes, sans toujours avec raison.
Par exemple, des prélats catholiques adeptes de la théologie pré-insurrectionnelle sud-américaine du Réveil ou de la libération née du protestantisme anglo-saxon (les Églises libres et le pentecôtisme) qui se propose de «réveiller» une foi jugée «endormie» par la conversion de la personne interpellée par une prédication de type émotionnel, réclament la démission de l’institution citoyenne sauf si celle-ci s’amende en acceptant d’incorporer en son sein des membres de la Société civile... Ils oublient que dans nombre de circonscriptions électorales, ce sont des abbés et des religieuses qui ont officié des messes noires dans les bureaux et centres de vote se compromettant dans de la corruption! Si ce n’est le clergé lui-même directement, ce furent des maîtres d’école et des instituteurs du réseau catholique. On peut mesurer le niveau de la dépravation des mœurs!
Certes, Ngoy Mulunda a tenu l’une de ses promesses. Celle de nous offrir nos élections au 28 novembre 2011. A la décharge du pasteur, l’opposition les réclamait a corps et a cri à cette date au risque de faire tomber le Déluge et d’effacer le pays sur la carte terrestre! Le pasteur en a pris argument pour mettre le couteau à la gorge d’un Gouvernement trop affaibli qui a fait tomber les millions de dollars dont la Céni, la Commission électorale nationale indépendante, avait tant besoin.
POSONS DES QUESTIONS JUSTES!
Au total 360 millions de dollars quoique versés au compte-gouttes sous le regard inquiet du Fonds monétaire international! Un audit que ne manquera pas de réclamer la nouvelle Assemblée nationale mise en place par Daniel Ngoy Mulunda Nyanga doit révéler le gâchis financier vécu par le pays!
On savait nos élections les plus chères du monde (800 millions de dollars) dans un pays où les voies de communication ont disparu avec le départ des colons!
Lors d’une réunion dans sa ferme de Kingakati, le Chef de l’État Joseph Kabila avait mis en garde les élus de la majorité et justifié la nécessité de ne pas empirer les comptes exsangues de l’État r-dcongolais. D’où la décision unanimement saluée de revisiter la Constitution en passant d’un scrutin présidentiel à deux tours à celui à un tour en vue de faire des économies...
Ainsi le 11 janvier 2011, l’article 71 fut révisé par la Chambre basse. Désormais, «le Président de la République est élu à la majorité simple des suffrages exprimés». Le vote des Députés fut marqué par une rixe historique prémonitoire en plein hémicycle opposant élus de la majorité et de l’opposition décidés qu’«on leur passe sur le corps si la majorité voulait passer en force sa révision». On était loin d’imaginer ce qui attendait le pays.
Il y a ce gouffre financier avec des élections financées à 95% par le seul Cd sur fonds propres, allait noter le Chef de l’État dans son discours d’investiture devant des ambassadeurs occidentaux génés que leurs pays n’aient pas contribué à ce budget alors qu’ils avaient donné des promesses. Fier, Joseph Kabila ajoutait que pour la première fois dans l’histoire du pays, un mandat présidentiel avait été conduit à terme sans crise institutionnelle.
Le meilleur était pourtant à venir: nos Démons qui nous rattrapent avec cette crise post-électorale faite de contestations en chaîne...
Tout cela, quand l’indécence des dépenses sublimissimes et grandissimes de la Céni crient au ciel. Si l’abbé Appolinaire Malumalu Muholongu remettait pied à ses anciens bureaux bunkérisés, il n’en reconnaîtrait pas un coin de l’immeuble où tout, jusqu’au bloc toilette, est ravissement!
Des émules des chiffres se jettent sur leurs calculettes: quel travail cette Céni-ci a-t-elle produit face à tant de moyens reçus de l’État et, par ricochet, quelle image cette équipe-ci laissera-t-elle à l’histoire comparativement à la Céi Malumalu qui certes à la décharge de Mulunda en a reçu bien plus (500 millions de dollars) de la communauté internationale versés d’un jet et a disposé de plus de temps (trois ans dans la préparation des élections), ce qui eut pour avantage de régler les commandes et de les payer comptant, ce qui fut loin d’être le cas de la Céni? Comment ne pas poser des vraies questions!
Au total, les «erreurs», les «irrégularités», les fraudes commises par la Céni ou sous son regard sont trop extravagantes à ce point qu’elles déconsidèrent les meilleurs résultats qu’elle aurait pu engrangés par ailleurs.
LA FAUTE AU LÉGISLATEUR.
A la décharge du pasteur président, cette faute du législateur lui-même!
Sous Mobutu où tout n’était pas que pire, les présidents de bureaux de vote se recrutaient parmi les plus hauts dirigeants d’entreprises publiques - Gécamines, Sncc, Snél, etc. -, les plus hauts magistrats du pays, les plus hauts fonctionnaires qui en dissuadaient par leurs galons le premier candidat corrupteur.
Ce n’est pas le cas avec la loi électorale n°11/003 du 25 juin 2011 qui rend maîtres après Dieu des maîtres du primaire, des petits profs chrétiens du secondaire pas ou mal payés - 15 Usd par les églises- et à qui, dans le cadre d’un contrat précaire, le projet PNUD-PACE a promis de payer 150 $ à la fin du processus électoral quand des candidats Députés fortunés et indélicats se présentent dans des prés avec des attachés-case bourrés de dollars.
C’est en effet en partie la faute à la loi. Celle-ci dispose qu’aussitôt le vote terminé, le bureau de vote se transforme automatiquement en bureau de dépouillement qui, «aussitôt le dépouillement terminé, le résultat est immédiatement rendu public et affiché devant le bureau de dépouillement» (art. 68 de la Loi n°11/003 du 25 juin 2011) quand «les procès-verbaux de dépouillement et les pièces jointes sont acheminés pour centralisation et compilation au centre local de situé dans chaque circonscription électorale» (art. 69, opt. cit).
En plaçant le pouvoir de décision à un niveau aussi bas (64.000 bureaux de vote, 15.000 centres de vote, 169 Clcr (Centres locaux de compilation des résultats), en refusant à la Céni toute possibilité de contrôle de cohérence et de redressement, le législateur croyait gagner en transparence. En 2006, un seul centre de compilation avait fonctionné, le fameux Cncr, situé à la Rénapi à Kinshasa.
Il a décuplé les occasions de fraude en accordant d’énormes pouvoirs - l’autonomie jusqu’à l’affichage des résultats dans une société de désintégration morale accentuée - à des humbles citoyens incapables de résister à la tentation de corruption ou aux pressions de candidats faisant valoir leurs titres de ministre, sénateur, député, etc. à des maîtres d’école, étudiants et chômeurs recrutés localement, ravagés par la misère et la famine, ayant par ailleurs des liens avec des candidats.
«Au lieu de disposer comme en 2006 d’un seul centre national de complication, le législateur de 2011 a créé 169 centres locaux de complication», ironise un analyste.
Au fond, la Céni pose un réel problème. A la crise mentale ambiante qui couvait dans le pays (et que justifiait la tentation d’un vote protestataire face à une situation générale figée), aux vraies ou fausses attentes qui parcouraient le pays (une frange de compatriotes estimant leur ère venue d’exercer enfin le pouvoir tant de fois perdu), à la résurgence d’un discours identitaire encore trop ancré dans le mental de Congolais et contre lequel aucune politique pensée n’a pu être menée et que distribuent trop facilement les réseaux sociaux animés par une diaspora - contrairement à la diaspora vieillie et croulante des années Mobutu - passée à l’ère CNN, BBC, parlant anglais, français et allemand, frappant aux vraies portes à l’étranger, l’institution citoyenne a proposé une réponse trop mauvaise faite de fautes accumulées qui la fait hautement suspecter.
PRENDRE DE LA HAUTEUR.
Du coup, la Commission électorale nationale indépendante a mis en péril les Institutions - la République - qu’elle se devait de protéger et de défendre. Gâchis total!
Le Président de la République a-t-il compris la tragédie dans laquelle cette Céni a plongé le pays? Nul ne peut en douter! Lui qui, comme de Gaulle, a pris le large, seul avec la Première Dame et les enfants, depuis un mois, dès le lendemain de son investiture le 20 décembre et n’est retourné dans la Capitale que le temps de prononcer des vœux protocolaires! De Gaulle à Colombey-Les-Deux-Églises. Face au devoir de réflexion, l’homme d’État prend de la hauteur, s’isole pour mieux appréhender le destin qui le guette!
Dire que le pays attend tout de cet éloignement du Président de la République, loin du tintamarre kinois, est une Lapalissade.
T. KIN-KIEY MULUMBA.