Fayulu, fin de l'histoire
  • lun, 17/04/2023 - 21:52

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.

Le Soft International n°1580|LUNDI 17 AVRIL 2023.

Nul doute. La vie est faite d'occasions et d'opportunités. Quand les occasions apparaissent, il faut encore attendre les opportunités si l'on veut avancer. « C’est un grand art que de savoir juger et savoir saisir les occasions». « Rien n’est plus coûteux qu’une opportunité manquée ».

 

Qui avait pu prévoir l'apparition sinon l’irruption à un si haut niveau de la politique congolaise d'un ancien pétrolier, Martin Fayulu Madidi dont l’existence sociologique continue de faire le buzz. Il avait suffi qu'au dernier cycle électoral en 2018, Joseph Kabila décide d'effacer des listes électorales trois candidats à la présidence de la République.

« À quelque chose malheur est bon ». « Un mal pour un bien».

D'abord Moïse Katumbi Chapwe (interdit à tort ou à raison de remettre les pieds au pays et, du coup, de se faire inscrire sur les listes électorales) ; Jean-Pierre Bemba Gombo (à qui des juristes du régime à tort ou à raison ont fait voir sa condamnation par la Cour Pénale Internationale) ; l'ancien premier ministre Adolphe Muzito Fumutshi (qui s’est précipité à tort ou à raison dans la course à la présidentielle sans l'accord de son parti). Des occasions et des opportunités.  Moïse Katumbi Chapwe est un ancien gouverneur du Katanga. Il y a amassé une fortune colossale dans les mines de la Gécamines. Jean-Pierre Bemba Gombo est fils d'un ancien patron des patrons du régime Mobutu. Il fut l'un des Viceprésidents de la République du régime 1+4 après qu'il eût passé par la rébellion, ce qui le conduisit sur le chemin de La Haye où il séjourna 10 ans avant d'être relâché. Ancien ministre du Budget sous le gouvernement Gizenga, Adolphe Muzito Fumutshi succède, le 10 octobre 2008, à son mentor miné par le poids de l'âge comme Premier ministre quand Antoine Gizenga Fundji est poussé à la sortie par une coalition kabiliste remontée et en attente des résultats. Battu aux Législatives de 2006 à Kinshasa, Muzitu s'est, en 2011, déployé dans la province du  Kwilu, dans la ville de Kikwit, évitant, pour des raisons stratégiques, de se présenter dans le territoire qui l'a vu naître en 1957, Gungu.

 

QUI EST MARTIN FAYULU MADIDI? 

À ces trois noms viennent s'ajouter plusieurs autres. Le plus connu est un ancien chef rebelle de l'Est, le puissant Nande, Antipas Mbusa Nyamwisi mais aussi l'ancien fonctionnaire du Fonds Monétaire International, FMI en sigle, depuis réintégré, l'économiste Freddy Matungulu Mbuyamu Ilankir. Candidat à la présidentielle de 2018, guère invalidé dans la course à la présidentielle, Matungulu fait le voyage de Genève et prend part aux négociations de l’opposition qui conduisent le 11 novembre 2018 à la naissance de la coalition électorale Lamuka («réveille-toi» en Lingala) et à l’incroyable désignation du plus faible de tous, Martin Fayulu Madidi, comme candidat commun de l'opposition à la présidentielle du 30 décembre 2018.

Qui est Martin Fayulu ? Selon Wikipédia, Fayulu est né à Kinshasa, le 21 novembre 1956. Ses parents sont Ngamiaka Gérard Fayulu et Marie Nsaka Makuya. Ancien de l'Université de Paris-XII (maîtrise en Économie générale),

Fayulu passe à l'Institut supérieur de gestion de Paris, puis à l'European

University of America à San Francisco (maîtrise en administration des Affaires).

En septembre 1984, il rejoint à Kinshasa le groupe pétrolier Mobil qu'il quitte en 2003 alors qu'il dirige en Éthiopie ExxonMobil. Fayulu bourlingue ensuite dans diverses positions, Fairfax, aux États-Unis, siège de Mobil ; Paris, siège de Mobil Africa ; dans d'autres succursales d’ExxonMobil, Côte d'Ivoire, Kenya, Nigeria,

Mali. En clair, pas une réelle existence congolaise. En 1990, Fayulu embrasse la politique. Il est président du FDD, le Forum pour la Démocratie et le

Développement, structure membre de l'Union sacrée de l'opposition animée par l'opposant historique Étienne Tshisekedi wa Mulumba qu'il admire et approche. En 1991, il est membre de la Conférence Nationale Souveraine, CNS et occupe le poste de vice-président d'une commission, la Commission Économie, Industrie et PME. En 1993, il est élu par ses pairs de la CNS membre du Haut Conseil de la République Parlement de Transition, HCR-PT. En 2006, il se présente comme candidat aux législatives dans la ville de Kinshasa. Il est élu député provincial mais doit se battre à la Cour Suprême pour se faire reconnaître comme député national. Pour y arriver, il met en œuvre certaines affinités fraternelles… Pourtant, il choisit le parlement de la ville Kinshasa, offrant le mandat de député national à un suppléant. Certains le soupçonnent d’avoir l’œil sur le poste de gouverneur de la ville mais Fayulu négocie et passe la main à un plus fort que lui,

André Kimbuta Yango. En mars 2009, Fayulu crée son parti, Engagement pour la Citoyenneté et le Développement, ECiDé. Aux législatives de 2011, il est élu député national et obtient deux mandats pour son parti. En janvier 2017, Fayulu renonce à son mandat. Il proteste contre l'opération glissement des élections.

 

IL N'EST «PAS GOURMAND».

À la réunion de Genève, Fayulu est désigné candidat à la présidentielle de fin décembre 2018 mais s'engage, s'il est élu Président, à n’exercer le pouvoir que pendant deux ans, puis à organiser au terme de cette période une élection présidentielle ! Comment pourrait-il écourter un mandat prévu par la

Constitution pour durer cinq ans?  En novembre 2018, lorsque cette question lui est posée, devant témoins, par un candidat président qui s'étonnait qu'il ait pris un tel engagement devant les signataires de l’accord de Genève, la réponse est hallucinante. «Je ne suis pas gourmand». «Gourmand» de quoi? Candidat Président, ayant présenté et vanté un programme de Gouvernement, quel aspect de ce programme parviendrait-il à réaliser en deux ans ? Fayulu se tait. Tout est clair. Le seul rôle que ses mentors visibles et invisibles avaient décidé de lui faire jouer est celui de faire entrer dans le jeu politique les trois personnalités invalidées par Joseph Kabila. Soit Moïse Katumbi, Jean-Pierre Bemba, Adolphe Muzitu décidés de devoir prendre leur revanche en s'octroyant le pouvoir sur un plateau d'argent.

«La revanche est un plat qui se mange froid... voire surgelé». En clair, le mot est de saison : ils en ont fait un vassal. Qu'importe ! Manipulé à souhait par des politiques ne jurant que sur leurs intérêts immédiats et donc pour des postes, le Bandundu qui n'a jamais donné à ce jour un Président de la République, se prend à rêver.

Lors de la campagne, ce discours est délivré. Partout, «c'est votre sang qui coule dans ses veines». Quand dans l'espace swahiliphone, l'envie de revanche antiKabila est poussée au paroxysme...

Sauf que l'accord de Genève est un mort-né. Le jour de son annonce, deux des sept signataires, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo et Vital Kamerhe LwaKanyinginyi Nkingi, mis sous pression par leurs bases, retirent leurs signatures et créent à Nairobi une coalition électorale CACH, Cap pour le Changement qui désigne son candidat, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo.

Dès la proclamation, le 10 janvier 2019, par la CÉNI de la victoire de FélixAntoine Tshisekedi Tshilombo et la confirmation des résultats dans la nuit du 19 au 20 janvier 2019 par la Cour constitutionnelle, les rangs de Lamuka commencent à se vider. Le premier à s'en aller est le pragmatique fonctionnaire international Freddy Matungulu. L'homme qui introduisit Fayulu dans le Bandundu comme son «frère» est désigné administrateur à la Banque Africaine de Développement, BAD par le nouveau président quand Antipas Mbusa Nyamwisi, qui avait amené Fayulu dans le Grand Nord Nande, a pris ses clics et ses clacs (ses cliques et ses claques) de la lutte pour «la vérité des urnes». Pour Fayulu, rien n'est plus désormais comme avant. Bemba et Katumbi prennent part aux consultations du président de la République au Palais de la Nation, rallient l'Union sacrée de la Nation, présentent des ministres au Gouvernement. Le dernier des Mohicans à rester aux côtés de Fayulu est son autre «frère», Muzitu. Les deux hommes passent et repassent comme larrons en foire. Mais, depuis peu, rien ne va. Muzitu fait chanter et danser des dames qui insultent, injurient publiquement son «frère». En juillet 2022, Fayulu est investi candidat de l'ECiDé à la présidentielle annoncée pour le 20 décembre 2023.

À quoi le président auto-proclamé « président élu » peut s'attendre sans l'espace swahiliphone apporté par Katumbi et Nyamwisi, sans l'espace lingalaphone, Équateur et Kinshasa, offert par Bemba désormais Vice-premier ministre à la

Défense, sans l'espace kikongophone où il fut présenté par le couple Matungulu- Muzitu ? La fin de l'histoire…

T.MATOTU.

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